de si loin

c’est de la terre froide et c’est le lait que tu as donné,
c’est sourire dans les pleurs,
le cœur qui chute et remonte,
l’hiver dans le printemps,
le printemps dans hier,

l’hiver et l’été où tu donnais vie,

c’est le sablier cassé, sable sur la table,

c’est être ton enfant de si loin.

Gilles

 

5 oiseaux dans le ciel après la préparation de la cérémonie pour maman

 


photos, Bois Saint-Romain 11 et 12 décembre, Tavernay et Autun 13 décembre 2018

J’ai vu

J’ai vu
J’ai vu les bœufs mutiques les bœufs blancs qui cavalaient au Bois Saint-Romain et qui meuglaient en fanfares
Et mon cœur, comme le corniaud derrière, calte encore derrière ces bœufs

Brume au matin envahissant le paysage ensoleillé

Au Tocro 10 000 mayettes archiséchaient bottes de foin
J’ai moissonné les embouches du Courtegland
Et au Mongin nous avons trouvé un troupeau de moutons roux
J’ai vu dans les herbages des groins avides des bestiaux qui pissaient à vastes torrents
Et les grêles froudoyantes hachaient partout et mutilaient les cieux arides
L’orage était sur toutes les toisons dans tous les ventres
Des cornes folles saccageaient toutes les haies
Et sous la force de la vie les cuisses vibraient comme des agrès
Dans toutes les prairies on bouffait tous les regains
Et j’ai vu
J’ai vu des troupes de 60 taurillons qui s’échappaient à toutes pattes enferrés par les collines en chaleur et des hordes de corneilles qui s’égaillaient incurablement après
Disparaître
Dans le ventre du Morvan.

 


D’après Blaise Cendrars, Prose du transibérien (Pléiade page 29)

Photo : Bois Saint-Romain par Gilles Bertin

plus jamais parler d’elle

Elle était toute en bleu, grunge, pantalon déchiré
grosses joues de bonne fille
Elle tira de son sac une fiche de consultation
au logo de l’Assistance Publique
la relut plusieurs fois
frottant la commissure de ses yeux
pourtant elle ne pleurait pas elle fit ça longtemps
Soudain eut un sourire mystérieux
un printemps sur son visage
Pile à ce moment le soleil joua sur elle
le tatouage de cheval sur son bras galopa
un hôpital de l’Assistance publique défilait avec ses pavillons serrés
il ressemblait à celui d’où elle venait
elle regarda de l’autre côté
Ce fut le fleuve jeté en travers du métro
qu’il franchit avec elle guettant la liste des stations au-dessus des portes
Elle prit sous le siège où elle l’avait rangée une béquille
le rouge de ses ongles était écaillé

plus-jamais-parler-d-elle-600

Dehors
elle tira du grand sac plat à son épaule un dossier
d’un geste précis le mit dans la gueule d’une poubelle
examina la plaque de la rue
celle de la fausse adresse qu’elle avait donnée pour le dossier
au 126
ou au 127
elle ne savait pas exactement de quel côté
il y avait tant de possibilités
C’était une histoire finie avant d’avoir commencé
à peine inventée
une des multiples histoires qui aurait pu avoir lieu dans cette ville aux couches multiples comme une moussaka
Derrière elle un homme aux cheveux coupés courts cinquantaine polo gris rayé de blanc avait la main dans la gueule de la poubelle
il tourna les pages du dossier
un formulaire de l’Assistance Publique
« Service des enfants assistés »
Il le rangea dans son cartable
La béquille contre la poubelle ressemblait à un étai
La femme avait disparu

Gilles Bertin

Paris, métro lignes 6 et 8, 4 septembre 2015

Lu par Myriam Linguanotto
Photo : Gilles Bertin


Ce poème a initialement été publié ici voici plus de deux ans, le 4 septembre 2015.

Les poèmes de métro publiés ici sont regroupés sous #poemes-de-metro

La forme Poèmes de métro a été inventée par Jacques Jouet, membre de l’Oulipo.


 

Que cachez-vous donc dans votre sac mauve ? (Villanelle de Noël)

Hello les chatons ça sonne sonne
tintamarre chic et magique
c’est le plus spectaculaire des Noëls

Que cachez-vous donc dans votre sac mauve ?
demande la sentinelle, des pinces de homard ?
Hello les chatons ça sonne sonne

Jetez vos jokers sur la patinoire sur le manège
entre les façades bleues et rouges
c’est le plus spectaculaire des Noëls

Passez derrière le rideau doré
déguster des sushis un capucchino crémeux
Hello les chatons ça sonne sonne

le vieux colombier ses pigeons mécaniques
la rue de Rennes tout au bout Montparnasse
c’est le plus spectaculaire des Noëls

la grande tour parée de lettres dorées
a coiffé son chapeau de mousquetaire
c’est le plus spectaculaire des Noëls
Hello les chatons ça sonne sonne

Paris, bus 96

Gilles Bertin, texte, montage
Florence Larisse, voix
Musique : Extrait de Peer Gynt – Prélude : Morning Mood (E. Grieg) joué par une boite à musique (music box) – Adaptation : Mourioche — licence : LESFhttp://www.sound-fishing.net/musique/musique-fete
Image : Par MrHedgeyMan, http://mrhedgeyman.deviantart.com/, Creative Commons Attribution 3.0 License


Ce poème a initialement été publié voici déjà trois ans, le 22 décembre 2014.

Les poèmes de métro publiés ici sont regroupés sur le tag poemes-de-metro

La forme Poèmes de métro a été inventée par Jacques Jouet, membre de l’Oulipo. La villanelle est un poème à forme fixe tel que défini par Joseph Boulmier dans sa villanelle intitulée Villanelle.