Austerlitz dépôt

cyanotype-571

Le gamin a un écusson Paris FC
le crâne presque rasé
il regarde autour de lui avec curiosité
ça doit être son père assis à côté de lui
ils sont tranquilles tous les deux
La rame passe le fleuve
Dans le virage avant la station Gare d’Austerlitz
dans le bruit de ferraille du freinage
un vieil homme se penche vers le gamin
« Tu vas à l’école toi ? »
le gamin ne dit rien
« Tu es le premier ? »
le gamin le fixe avec son regard clair
le visage inquiet
Les portes s’ouvrent sur le quai
on voit par le débouché de la verrière le bâtiment sur pilotis du ministère des finances de l’autre côté du fleuve
« Ne laisse jamais personne passer devant toi ! »
le vieil homme caresse la joue du gamin de son index replié
le gamin ne sait pas quoi lui dire
ni s’il doit lui dire quelque chose
il regarde du côté de son père qui ne dit rien non plus
Le vieil homme descend et s’éloigne
c’est un vieil homme noir très distingué dans un trench-coat court gris pierre
le gamin aussi a de l’allure dans sa tenue de sport
il demeure une minute ou deux après
le visage effrayé
puis petit à petit il se retrouve
à la station Campo-Formio sa tête est à nouveau alerte
la phrase du vieil homme déposée quelque part en lui
Dieu sait où

Gilles Bertin
.


Photo : Gare de Lyon, 9 octobre 2015, cyanotype GB

le hangar aux bateaux était fermé depuis longtemps

Je suis au fond du hangar aux bateaux
au-dessus de moi
sur les poutres grossièrement équarries
dans l’apparent pêle-mêle des livres d’un bouquiniste
il y a des dizaines de dérives, de quilles, de safrans.
Sous ces bois effilés polis par les traversées
à l’œil je choisis l’une de ces gouvernes,
mes mains soulèvent la poussière du grenier
Aux mâts, dans les tréteaux, les carreaux des fenêtres
il y a de vastes toiles d’araignées terreuses
le hangar aux bateaux était fermé depuis longtemps
vieux pays clos par mon entière famille immobile
trois générations à terre
leurs gouvernes à sec.
À deux mains je descends du grenier le gouvernail
dans la lumière grise couleur de toile à matelas
gravé sur le bois je découvre
le nom d’une femme et la date
1900.

Gilles Bertin


Photo : GB
Le pays clos

Johnny Guitar

un bonnet abandonné sur ce banc…
je me souviens de Johnny Guitar
on le prenait souvent pour une femme
même s’il se déplaçait avec cette énorme caisse à outils jaune bouton d’or
il aimait ce genre de bonnet
qu’il portait avec un foulard léopard

un beau jour il est parti pour l’Italie
nos trains se sont croisés
long coup de klaxon je remontais de Toulon
la marine nationale une permission
Johnny était un chevalier oui

à Paris sur le quai de la gare j’ai eu peur
j’étais presque seul un soir de décembre glacial
personne ne m’attendait la ville était vide

Johnny n’a jamais joué de guitare
il ne s’appelait pas Johnny non plus vous aviez deviné

je suis allé chez lui rue Picpus
j’ai trouvé trois gamins avec des chapkas et leur mère
un bandeau à nœud rose tenant ses cheveux
c’est eux qui m’ont dit son départ pour l’Italie
il avait laissé sa colossale caisse à outils jaune
ils étaient contents pour lui
il serait heureux là-bas disaient-ils
merde c’était leur père après tout qui les plaquait
et il était presque le mien

on ne le reverra jamais
il a été poignardé dans le tunnel du Mont-Cenis
dans son train vers l’Italie

Paris, métro lignes 6 et 8

Gilles Bertin, texte, voix, montage https://soundcloud.com/gillesbertin/johnny-guitar
Musique : Black Island Hood, https://archive.org/details/TheRiversGoingWild — Creative Commons license: Attribution-Noncommercial 3.0
Image : By Jean-Pierre Dalbéra from Paris, France (Portrait d’homme (musée Guimet)) [CC BY 2.0 (http://creativecommons.org/licenses/by/2.0)], via Wikimedia Commons, http://commons.wikimedia.org/wiki/File%3AFlickr_-_dalbera_-_Portrait_d’homme_(mus%C3%A9e_Guimet).jpg


Les poèmes de métro publiés ici sont regroupés sur le tag poemes-de-metro

La forme Poèmes de métro a été inventée par Jacques Jouet, membre de l’Oulipo.

Les clowns ne font plus rire du tout (poème de métro)

Texte et mOntage : moi
Voix : Florence
Bruitages  sous licence LESF de type « Royalty Free »
Image : extrait d’une photo d’un profil social elle-même extraite de la une d’un quotidien pendant l’apparition des clowns en France en octobre 2014


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La forme Poèmes de métro a été inventée par Jacques Jouet, membre de l’Oulipo.

Contraire (poème de métro)

prendre ce métro en sens contraire
constater qu’autour de soi aucun passager n’est inquiet
certains descendant néanmoins à chaque station
faisant sans doute discrètement demi-tour
d’autres montant tout aussi calmes les remplaçant
ayant sans doute eux aussi rebroussé chemin en sens contraire
il est temps de retourner à ton départ

Paris, ligne 8

Voix : Florence
Musique : Hungarian Rhapsody No. 4 in E-flat major, Liszt, interpreted by Vadim Chaimovich, Musopen.com, CC PD
Image : klovesjphotography, http://klovesjphotography.deviantart.com/art/Lino-Print-Subway-Map-272489335 — CC Attribution-Share Alike 3.0


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