contraire, couleur souris, acheter (3 autres poèmes de métro)

.

contraire

prendre ce métro en sens contraire
mais constater qu’autour de soi aucun passager n’est inquiet
certains descendant néanmoins à chaque station
faisant sans doute discrètement demi-tour
d’autres montant tout aussi calmes les remplaçant
ayant sans doute eux aussi rebroussé chemin mais dans l’autre sens
il est plus que temps maintenant de retourner à ton départ
prendre ce métro en sens contraire

.

couleur souris

caban souris / jeans tuyau délavé
chemise rayures / cravate à points bleus
mastic crème / écharpe lin / cheveux neige
anorak noir matelassé / col faux velours
veste cintrée / collier perles / béret clair
sweet fluo / pantalon à bandes Adidas / Nikes rose
imper pistache / blouson pétrole
manteau sable / porte bébé ventral bleu foncé
capuche bébé même couleur souris que le caban tout à l’heure

.

acheter

acheter des packs d’eau des Alpes pour livraison à domicile
un scanner photo sur Le Bon Coin
des cartes de visite en promotion
un billet en tribune d’honneur pour France-Argentine
une formation en anglais chez Wall Street Intitute
des billets coupe-file pour le Salon du chocolat
des tenues de camouflage pour les week-ends à la campagne

 

Sur les lignes 6 et 8 à Paris

Un premier poème de métro : Mon chien — Les poèmes de métro publiés ici sont regroupés sur le tag poemes-de-metro

La forme Poèmes de métro a été inventée par Jacques Jouet, membre de l’Oulipo.

Mon chien (poème de métro)

Photo by miaikransen, license CC0 Public Domain

Mon chien est ce que j’ai de plus précieux au monde
il a en ce moment un bandage à la patte antérieure droite
quand le violoniste se met à jouer
il se plaque au sol entre ses quatre pattes écartées
je ne tire pas sur sa laisse
je le soulève et le dépose sur mes genoux
il écoute le violon sans broncher ses yeux fixes
le musicien joue maintenant Comme d’habitude
.
Ligne 8, Paris

.

Photo par miaikransen sous licence CC0 1.0 domaine public — Lien vers la photo sur pixabay

      Mon chien, poème en métro - Gilles Bertin

Les poèmes de métro publiés ici sont regroupés sur le tag poemes-de-metro

La forme Poèmes de métro a été inventée par Jacques Jouet, membre de l’Oulipo.

Maman courait en tête

Tout était prêt quand je rentrais
une assiette avec une entrée ou sur la gazinière une casserole de soupe
toute petite la casserole avec son couvercle brillant
j’allumais dessous il y avait aussi un bol sur la table
quand je versais le contenu de la casserole dedans
la soupe arrivait pile au bord
ni plus bas ni en excès
elle était comme ça maman
exacte

Il y avait trois tranches de pain enveloppées dans la serviette
pour qu’elles soient fraîches
une pomme ou un autre fruit des noix une banane
une portion de fromage blanc à ma mesure
et un plat de résistance dans le poêlon prêt lui aussi sur la gazinière
chaque récipient avait la dimension ad hoc
la casserole de soupe le bol le poêlon et pour la pomme une soucoupe
elle était comme ça maman
exacte

J’étais le dernier d’une fratrie
je prenais cette exactitude pour de l’attention
maman m’aime pensais-je
j’ai dépassé l’âge qu’elle avait
j’ai essayé différentes vies
ces derniers temps j’ai changé d’avis
ce n’était ni amour ni exactitude
maman courait en tête
pour que je sois rassuré me dis-je
et être rassurée de savoir où j’allais comme ça

A-t-elle été heureuse
la course nécessite un perpétuel déséquilibre
Je vis avec une autre femme
tout est prêt quand je rentre
je croyais mon enfance si loin
elle voulait être comme ça maman
devant

[nggallery id=4]

[imagebrowser id=4]

Ma famille en marche

.

Sur cette photo,
ce sont mes deux grands-mères,
elles marchent ensemble bras dessus bras dessous,
c’est un jour de fête de famille,
elles vont à la salle des fêtes,
discutant.

.

Ma grand-mère paternelle a une canne, elle avance avec difficulté et ne sourit pas. Mon autre grand-mère a une tête de moins mais elle continuera une quinzaine d’années. Elle a tout le bonheur du monde sur son visage. Leurs maris, mes grands-pères, sont morts depuis quelques années.

.

Ce serait bien de les revoir toutes deux ensemble, côte à côte, un jour d’été, elles qui ne sont plus là depuis un bon moment.
Quelle chance d’avoir ce carré de photo pris entre une église et une salle des fêtes, un jour de communion solennelle.
De les regarder des années après, l’une allant au rythme de l’autre, absorbées dans leur conversation, ne me voyant pas les photographiant, prélever un instant de ce jour ensemble.

.

Désormais c’est au tour de ma mère de marcher ainsi. Elle n’en a pas peur, non.
C’est de ne plus avoir sa mère qui la fait souffrir,
d’être seule devant.

.

Ensuite, ce sera à moi.

.

Nous aurons fait l’un après l’autre, nous suivant, un bon bout de chemin.

.

Voilà à quoi je pense devant cette photo, ma famille en marche.
Moi. Mes enfants. Ma mère. Et mes deux grand-mères.
Je les vois encore, ce jour-là, vingt ans de ça au moins, allant bras dessus bras dessous.

.

Gilles Bertin

.

Texte initialement publié le 4 décembre 2009 dans les « Vases Communicants » chez Enfantissages

.