Les personnages de ce film parlent très peu… forcément, ils ne font que parler d’amour ! D’amour barré, empêché. L’amour entre Angèle et son fils. Elle sort de prison, on lui interdit de le voir et lui aussi ne veut plus. L’amour empêché aussi entre Angèle et Tony, un marin-pêcheur d’un port normand. Tony est formidablement joué par Grégory Gadebois. Des silences, de la pudeur, des retraits. Mais quand il parle, ça cogne dedans.
Tony (Grégory Gadebois) et Angèle (Clotilde Hesme)
Leur histoire, je vous laisse la découvrir. L’essentiel de ce film est dans la justesse des personnages, autant des principaux, Angèle très bien jouée par Clotilde Hesme que Tony, que des personnages secondaires. La mère de Tony (formidable aussi avec des dialogues qu’on a envie de prendre en note), le fils d’Angèle, les habitants de ce port. La magie opère tout au long du film et culmine dans quelques scènes. Car la mise en scène d’Alix Delaporte est à la fois coulante et têtue. Le temps coule au rythme de l’histoire, sans interférence, nous sommes avec les personnages. Têtue dans son obstination à les amener à ces confrontations marquantes, toujours à des moments prosaïques, sur un stand de mareyage, autour d’une table de cuisine, dans les coulisses d’un théâtre… pour dire l’essentiel de ce que nous cherchons tous, tout le temps, l’amour. Avec ses difficultés. Un beau film, profond, qui a choisi un cadre fort (de très belles images de bord de mer) pour parler d’intemporel.
Angèle et Tony, d’Alix Delaporte avec Clotilde Hesme et Grégory Gadebois, au cinéma depuis le mercredi 26 janvier.
Au réveil, ce matin 31 décembre 2010, ton compagnon te joue son grand numéro hebdomadaire : tout va mal, il est nullard de chez nullard, tellement fatigué. Youkaïdi-kaïda, tu tentes de le rassurer. Tu adores ce rôle : tu es sa béquille, son déambulateur, son fauteuil roulant vers le bonheur. Du lit, vous passez à la table du petit déjeuner. Devant le café, il t’explique qu’il ne croit à Rien. Il prononce Rien comme un calotin prononce le mot Dieu.
— Cette façon de faire est un moyen pour me détruire, je ne suis pas le seul… Tous ces gens qui ne mangent pas, qui tombent malade exprès (il insiste, « exprès»), qui boivent ou qui jouent. La mort ne me fait pas peur. De toute façon, j’aurai une retraite si faible qu’il vaut mieux que je meure avant.
Tu comptes le nombre de fois où il t’a joué Suicide, mode d’emploi en 2010. Tu imagines tout 2011 comme ça, 52 fois la même blague. Que fais-tu avec cet emplâtré ? Néanmoins, comme ces camions toupies qui inlassablement amènent du béton liquide sur les chantiers, tu reviens à l’assaut de sa sinistrose. Cette fois avec du lénifiant de chez lénifiant, l’estocade finale, Michel Drucker ferait pas mieux. Tu te plantes devant la fenêtre et tu désignes le SDF qui dort en bas, sous le porche de la supérette en faillite, sur un canapé défoncé comme lui. Ton conjoint a de la chance ! Mais il flaire le chausse-trappe. Tel Bonaparte à la bataille de Castiglione, il opère un mouvement tournant :
— Comment peux-tu me donner des leçons ? Toi aussi, ta vie tu la rates !… Au cheval, tu n’as jamais dépassé les sélections régionales. Et ta peinture, même pas exposée. Je ne te parle pas des enfants… tu n’as pas pu en avoir !… tu ne te demandes pas pourquoi ?
Mug de café dans les paumes, tu demeures immobile, présentant à ton conjoint un profil stoïque. C’est décidé, en 2011 tu le quittes. Mais plus tard dans la journée, rongée de remords, tu ressors ton vieux Propos sur le bonheur, Folio Essais n°21, 2 euros en occase. Il y a 89 ans, le 21 décembre 1921, Alain écrit :
Montrer partout le visage de l’ennui et s’ennuyer des autres. S’appliquer à déplaire et s’étonner de ne pas plaire. Chercher le sommeil avec fureur. Douter de toute joie ; faire à tout triste figure et objection à tout. De l’humeur faire humeur. En cet état, se juger soi-même. […] Se faire bien laid et se regarder dans la glace. Tels sont les pièges de l’humeur.
Une malhumeur… ça doit être ça la maladie de ton conjoint. La malhumeur, c’est une tumeur stationnaire. Ça ressemble à une nappe de pétrole, ça ne tue pas mais ça fait chier.
Tiens par exemple, Oeil pour oeil de Norge, le seul poète optimiste du 20ième siècle :
Norge
Tes petits cris dans l’azur,
Tes craquements de fémur,
Sont tes amours les plus sûrs
Passés, présents et futurs.
Bouvreuil, chevreuil, écureuil,
Le monde est là, sur ton seuil,
Tu n’as que toi pour accueil,
Tu n’as que ton œil pour œil.
[…]
Serre-toi dans ta hantise
Goûte-toi dans ta bêtise,
Tu n’as que toi pour chemise,
Pour jeu, pour cœur et pour guise.
C’est en poche chez Gallimuche : Poésies 1923-1988, Norge, collection Poésie/Gallimard, n°237, pages 60 et 61. Allez courage en ce dernier jour de 2010 ! Un petit dernier pour la route afin d’aider ton conjoint à se préparer à 2011 :
Un homme court sur un tapis roulant d’entraînement. Son staccato évoque celui des rails des trains de déportés qui convergent de toute l’Europe vers l’Allemagne. Sa course, la course incessante des prisonniers, fouettés par les SS. Sa performance athlétique les théories nazies sur la culture physique. En courant, cet homme, l’acteur et metteur en scène Thomas Germaine, dit un montage d’extraits des textes de Charlotte Delbo, l’une des 230 femmes qui dans le convoi du 24 janvier 1943 part pour Auschwitz. Les textes de Charlotte Delbo constituent une trilogie Auschwitz et après éditée chez Minuit.
Cette course sur ce tapis si moderne, emblématique de notre société qui, elle aussi, voue un culte au corps, par ce jeune homme en pleine santé est un magnifique travail d’acteur, de mise en scène, de théâtre qui sert le texte de Charlotte Delbo vibrant de vie, d’humanité, d’espoir, de révolte tendue vers nous – lecteurs et spectateurs – avec justesse, sans pathos.
Si vous avez la chance et le privilège de pouvoir aller au festival d’Avignon cette année, allez voir ce spectacle. Il est bouleversant.
Infos pratiques :
Tous les jours du 7 au 27 juillet à 14h20 sauf les 8, 12, 15, 22 et 26 où le film Le Convoi du 24 janvier 1943 est projeté
Pavé Twitter noir à droite sur l’écran qui affiche les messages postés sur Twitter par les participants et l’équipe (ça a commencé).
Je vous encourage à m’encourager pendant les 24 heuresen m’envoyant des commentaires sur ce post ou les suivants (les heures les plus dures sont en fin de nuit).
Tous les quarts d’heure, affichage des 24 nouvelles « en l’état » d’écriture (si nous jouons bien le jeu d’écrire en direct dans le « back office » du site…) + profils des 24 participants.
Suivi dans le 11ième arrondissement de Paris :
16 librairies et médiathèques du 11ième diffusent également l’événement. Voir leur liste et la carte ici.
Un coup de chapeau à Fontaine ô livre, association de développement des métiers du livre du quartier de la Fontaine au roi, qui coordonne la manifestation. Et à l’agence littéraire Pierre Astier pour l’idée de ces 24 heures.
Nous serons 24 auteurs non (encore) édités à compte d’éditeur. Nous aurons 24 heures pour écrire en direct une nouvelle. Le sujet nous sera donné au dernier moment.
La performance aura lieu du vendredi 11 juin à 20h au samedi 12 juin à 20h à Paris.
Nos ordinateurs seront branchés au net avec une webcam pour diffusion en temps réel dans 24 lieux du livre du 11e arrondissement parisien, des librairies et des médiathèques.
Un jury sélectionnera une nouvelle parmi les 24. Elle sera lue par des acteurs au 104, éditée par un éditeur du 11e et diffusée dans les libraires parisiennes.