Publication de Mao aux Editions de Vignaubière

C’était la dernière du Prix Transfrontalier de la Nouvelle Brève après 20 années d’existence. In extremis pour en faire partie et figurer dans le recueil collectif édité à cette occasion par les Editions de la Vignaubière. J’ai ce bonheur avec ma nouvelle Mao. Extrait :

– Cent grammes ?

La vieille hoche la tête.

– Mao va bien ?

– Oh pour ça oui, il m’a… tenez, regardez…

La vieille brandit son poignet. Deux bandes rosâtres striées de rouge se perdent sous la manche de son gilet de laine bleu pétrole.

Il introduit la main dans la banque, le foie a un claquement mouillé sur la planche, il l’immobilise du plat de la main et glisse la lame dessous, du jus rose suinte entre ses phalanges, il arrache une feuille au rouleau, jette la tranche dedans et de deux claques torchonne le papier.

– Cent grammes ! Et avec ça ?

Il ne pèse jamais, il a le compas dans l’œil et une main de violoniste.

– Ce sera tout, Monsieur Jean.

La même scène chaque jour. Du foie de veau, le plus cher. Cent grammes…

Un recueil superbement édité. Dix-neuf textes très courts (moins de 5 feuillets). Le thème « Emballez, c’est pesé » a donné des textes dont une partie semble tirer sur l’humour noir (je n’ai pas tout lu encore). Merci et bravo aux bénévoles de l’association organisatrice par ailleurs organisateurs de la Nuit du lecture et du conte, dont c’était aussi la dernière en 2011.

Encore un extrait :

La mémé a des joues de petite fille, gonflées comme si elle avait deux mandarines dedans, alors que son corps est si maigre qu’il a l’impression quand il l’aide à se relever de tenir son vélo. Ils achèvent la grimpette. Devant sa porte, la vieille farfouille son cabas. Et si c’était un ours derrière la porte ? Non, les ours mangent du miel. Parfois même toute la ruche avec l’apiculteur. Mais pas du foie.

Quentin cligne des yeux, une flaque de soleil traverse toute la pièce en provenance d’une double porte-fenêtre qui donne sur un balcon. De l’autre côté, une mer de tuiles. Dans un coin, un lit haut, comme dans les films à la télé. À l’autre bout, un frigo, un évier, deux plaques. Mais surtout, trônant sur un socle à roulettes, une immense cage à oiseaux, avec un dôme et des barreaux gris souris.

Il s’approche.

– Elle est vide, dit-il.

– Il est parti.

Emballez c’est pesé, Editions de la Vignaubière, recueil collectif, 2011

 

 

De tels tailleurs de crayons

L'année-sabbatique - Pascal-GarnierLévy signait chez Gibert Saint-Michel ce jeudi. La veille Jenny avait reçu le Goncourt. L’avant-veille Charlie deux cocktails molotov. La Grèce sauvée perdue resauvée reperdue. Les bourses re-remontaient. Le monde était n’importe quoi et ça se voyait. À dix-neuf heures pétantes, Lévy est parti laissant esseulés une dizaine de ses groupies en tailleurs et costumes sombres. Ils ont continué à discuter entre eux – mais de quoi pouvaient-ils parler ? À la lettre G, dans le rayon du bas, au raz du sol – il faut s’agenouiller pour l’atteindre – Pascal Garnier et Romain Gary étaient côte-à-côte. Leur voisinage réintroduisait un  peu d’ordre dans le n’importe quoi. Parmi la quinzaine de livres de Pascal Garnier serrés l’un contre l’autre, il y en avait un jamais là habituellement, L’année sabbatique. Une édition P.O.L. de 1986. Des nouvelles. Couverture vintage. Photo de Doisneau. Un vieux couple lourd comme la pendule sur le marbre de la commode. Leur photo de mariage, ils étaient minces. Tellement Doisneau. La première phrase du recueil :

Ils n’avaient nulle part où aller, alors, ils y allèrent.

Ce jeudi, plus personne ne croyait à rien, sauf ceux qui avaient encore un dieu et s’y cramponnaient. Côté anglophone, à la lettre M, il y avait les Lettres de Katherine Mansfield.

Lettres - Katherine-MansfieldOh ! que j’ai envie de bonheur — d’un monde qui ne soit pas toujours détraqué ! Vivre constamment sur la défensive, que c’est fatigant ! Pourquoi les gens ne veulent-ils pas vivre plus librement et plus largement ? Non, ils sont là, recroquevillés comme de petites plantes dans de petits pots qu’on aurait dû mettre en terre depuis des années et des années.

Katherine Mansfied écrivait cette lettre le 22 août 1918.

 N’est-ce pas que « David Copperfiled » est adorable ? […] Oui, Charles Dickens rend nos hommes plus petits que jamais, n’est-ce pas, et de tels tailleurs de crayons !…

.

Lettres, Katherine Mansfield, Bibliothèque Cosmopolite, éd. Stock.

L’année sabbatique, Pascal Garnier, éd. P.O.L.

Publication de Deux vies secrètes chez Jacques Flament Editions

Leitmotive opus 2 - Jacques Flament Editions - Recueil collectif, Deux vies secrètes, Gilles- BertinMa nouvelle Deux vies secrètes vient de paraître dans Leitmotive, recueil collectif, chez Jacques Flament Editions.

Extrait :

Vincent se leva. Enfila sa chemise sans la boutonner. S’accouda à la barre d’appui de la fenêtre et plongea la tête dehors. Le vent était d’une chaleur de brioche. Il cligna des yeux. Il était épuisé mais ne s’endormirait pas. Trop de pensées. Comme des outils renversés, manches emmêlés. Durant ces semaines, il s’était imaginé avoir le temps, une période sans fin devant lui pour parler à Marielle. C’était la faute à chaque jour semblable au précédent, à la brutalité du travail déversée comme du sable dans tous les muscles, au soleil infernal, aux blagues entre hommes portant sur deux sujets seulement…

Les 28 nouvelles du recueil Leitmotive sont unies par le même incipit incitateur au voyage :

Fatigués de lutter contre les forces d’inertie, nous roulions soudés vers la nuit, subissant l’odeur aigre des corps entremêlés. Le bruit sourd et saccadé de l’acier sur les rails étouffait les soupirs.

Cette publication de Deux vies secrètes vient après celle, au printemps 2011, de Quelque chose est mort dans la revue Brèves n°95.

Suis heureux !

Leitmotive opus 2 est disponible sur le site de Jacques Flament Editions :

http://www.jacquesflament-editions.com/boutique/leitmotive-opus-2/

La Tribut du Verbe, le slam dépote

TributduVerbe-cRomainEtienne.jpg
La Tribut du Verbe sur scène (c) Romain Etienne

Quand les quatre slameurs de La Tribut du Verbe sont sur scène, il se passe quelque chose. Punch, qualité d’écriture, sens de la mise en scène. Ils étaient le 13 mars au Périscope (très bonne salle !) à Lyon, pour le Printemps des Poètes :

Voici ma peau — hérésie
Sur le ring de l’avanie
Je brasse et boxe, c’est frontal
Que dans mes cordes ces veaux calent !

Leur écriture a évacué la « moraline » et les tics du rap qui plombent trop souvent les textes de slam en jouant du second degré et de l’humour. On rit (beaucoup et énorme !) en les écoutant et on se régale de leurs allitérations et de leurs rimes riches scandées comme on se régalait de celles de Claude Nougaro. Voici la fin du monde :

Là !
Dans le coca, le chocolat
Elle est là !
Dans le cana, sous la burka,
Elle est là !
Les acariens dans ton matelas
Elle est là !
Les chamallows ou les mollahs
les chalumeaux, les chiens errants
H1N1, H5N1, H1N1, H5N1, H1N1, H5N1
Et bientôt Et bientôt Et bientôt Et bientôt
H6N8

Ils jouent de leur quatuor et de leur virilité pour refiler à chacun de leur morceau une tension ininterrompue, relançant sans arrêt les textes par leur voix et leur jeu. Ça ressemble à une pluie d’étoiles en août.

Chacun des quatre est différent, attachant, tous complices, ça se sent, et les bougres sont bigrement beaux, corps et esprit, quatre mecs qui font bander dur la poésie.

La Tribut du Verbe - (c) Romain Etienne
La Tribut du Verbe - (c) Romain Etienne

Leurs compositions ondoient et se déploient comme des serpents qui, lorsqu’ils butent contre les murs, pirouettent et quadrillent tout le territoire :

J’mets mes fantasmes à plat, c’est bon
Puis je mate tes strings en streaming contre un orgasme placebo
Pour toi, ma puce… sera mon cerveau
Un copié-collé, sur fond de zouk
Et j’ferais plus le nerveux sur Scarface-book

Ils ont réunis les textes de ce spectacle dans le recueil Château de cartes publié par La Passe du Vent, éditeur rhônalpin de récits, nouvelles, romans, théâtre, poésie. C’est un petit livre costaud qu’on a envie de lire après les avoir vus sur scène :

  • le 19 mars pour La nuit du Slam à Toulouse
  • le 23 mars pour La nuit du Slam à Reims
  • le 26 mars à Saint-Bel
  • le 17 avril à Lausanne

Château de cartes, éd. La Passe du Vent, 135 pages, 10 euros + 2 euros de frais de port sur le site de la Tribut

Infos sur www.latributduverbe.com

Fête du livre de Bron n°25

« Un quart de siècle », ça fait vieux et 25 ans, jeune. C’est l’âge de la Fête du livre de Bron, juste à côté de Lyon (on y va en tram depuis le centre ville). Cet anniversaire quart de séculaire est le prétexte pour sélectionner 50 des livres qui ont comptés depuis le début de la fête : Rimbaud le fils de Pierre Michon, Des hommes de Laurent Mauvignier, Extension du domaine de la lutte de Michel Houellebecq. Ce sera lors de la soirée d’ouverture, ce jeudi 10.

Guy Coffette, Laurent Maviginier, Florence Auvenas - ©Christine Chaudagne
Guy Coffette, Laurent Maviginier, Florence Aubenas – ©Christine Chaudagne

Vendredi 11, samedi 12 et dimanche 13 février, une cinquantaine d’écrivains participeront à des rencontres, seul ou deux par deux, et signeront : Tatiana Arfel et François Taillandier, François Bon, Yves Bonnefoy et Jean-Pierre Siméon, Javier Cercas et Mathias Enard, Charles Dantzig, Eric Faye, Philippe Forest, Régis Jauffret et Patrick Lapeyre, Linda Lê, Claude Arnaud et Jean Rouaud, Will Self, Tanguy Viel, Antoine Volodine, Bernard Lahire et Frédéric Martel (sur la culture « mainstream »), etc.

Une des rencontres 2010 - Photo ©Christine Chaudagne
Une des (nombreuses) rencontres 2010 – Photo ©Christine Chaudagne

Cette fête est un beau moment où l’on a le temps de prendre son temps… lire, écouter, se sentir bien, riche d’humanité (oui !) ,de beauté (oui !), vivre des moments de grâce. Une fête lente et douce.

Merci à toute l’équipe de Bron et en particulier à Colette Gruas et Brigitte Giraud.

Programme complet de la fête du livre de Bron 2011 : cliquez ici.