Que peut la littérature ? Rien ! (question de la Fête du livre de Bron 2016)

Une lutte sourde

La littérature ne peut rien, tu le sais. Quel étrange business elle mène derrière son faux air de savoir ! La rebelle qui veut s’faire les rupins. Qui s’croit maligne et puis malaimée. Prétentieuse, va ! Se croit même au-dessus de la philosophie qui s’y croit pourtant avec ses insectes à chevelure souple et chemises à col ouvert. Mais la littérature n’est que papier, carton, étagères. Dans les librairies, les gens achètent du papier ; la littérature est un commerce de lourds cartons dont le contenu n’a aucune influence sur la marche du monde. Si la littérature avait un quelconque pouvoir, cela se saurait. Ton médecin t’en prescrirait, ton manager exigerait que tu lises. Mais la littérature n’est rien et tu devines la pirouette à laquelle va se livrer l’auteur de ce billet pour le conclure sur une note optimiste : il va arguer que c’est justement parce que la littérature ne peut rien, qu’elle est importante. Cependant, toi tu sais que la littérature est off, out, qu’elle n’intéresse plus qu’une poignée de gens qui ne s’intéressent à rien d’autre. Comme les dingues d’opéra. La littérature provoque des effets aussi difficiles à déceler dans notre monde que les microscopiques ondes gravitationnelles récemment découvertes. Il a fallu deux détecteurs en équerre longs de trois kilomètres pour enfin les repérer. Ces ondes résultent de la courbure de l’espace-temps par de gigantesques trous noirs à des milliards d’années-lumière. Les livres sont comme ces trous noirs, masses magnétiques colossales tapies dans les replis de notre univers. Mystérieux et invisibles. Tu n’en perçois que des effets indirects, une étrange attraction, des objets qui tombent, qui se cassent, des larmes, il y a une lutte sourde, des cris silencieux.

Gilles Bertin

Ce texte est une réponse à la question thématique de la 30ième fête du livre de Bron : « Que peut la littérature ? »


Une des rencontres 2010 - Photo ©Christine Chaudagne
Une des rencontres de la fête du livre de Bron 2010 – Photo ©Christine Chaudagne

La fête du livre de Bron a lieu du 4 au 6 mars 2016 (ce sera la 30ième édition) à l’Hippodrome de Parilly,  4-6 av. Pierre Mendès France, 69500 Bron — Tramway T2, arrêt Parilly – Université – Hippodrome

À signaler vraiment, vraiment, plus que particulièrement, la lecture musicale du Requiem des innocents du grand Louis Calaferte par Virginie Despentes accompagnée par le groupe Zëro, samedi 5 mars à l’Espace Albert Camus, 1 rue Maryse Bastié, 69500 Bron. Réservations : 04 72 14 63 40

Les chênes de Larroque Saint-Georges, Brèves n°107

Brèves n°107Brèves publie une deuxième de mes nouvelles, Les chênes de Larroque Saint-Georges, dans son n°107 paru fin 2015. La première était Quelque chose est mort dans son n°95 en 2010.

Vous pouvez trouver Brèves dans les librairies ayant un rayon de revues ou la commander en ligne en suivant ce lien.

Si vous aimez ou désirez découvrir la nouvelle contemporaine, Brèves est l’une des revues à lire.

Voici un extrait de Les chênes de Larroque Saint-Georges, presqu’au début :

C’est la première fois depuis que nous habitons ici, voici des années, que je me retrouve dans le parc avant le lever du jour. Je m’arrête à nouveau : je ressens la présence des chênes, comme s’ils étendaient leur feuillage à mes poumons. Le père d’Élisabeth les a plantés quand il a acquis ce domaine, avant la naissance de sa fille, il avait déjà réussi dans la vie. Vingt chênes de chaque côté de l’allée qui remonte au château, c’est comme ça que les gens du coin l’appellent – une grosse maison bourgeoise, en fait. Laissez quarante ans à des chênes et, chaque automne, vous obtenez ça : des bus stationnés sur le bas-côté, des ribambelles de vieux mitraillant les feuillages et la voûte des arbres, des couples de quinquagénaires buvant du vin dans leurs décapotables et des motards déambulant en combinaisons de cuir, casques au coude. Des scènes de films sont tournées là, Élisabeth loue ses chênes deux mille euros la journée. Larroque Saint Georges est son orgueil. Elle s’est endettée pour racheter leurs parts à son frère et à sa sœur. Moi, j’en ai l’usufruit. Un coup de sabre me déchire la poitrine. Élisabeth ! Que vas-tu penser de moi ?


Les chênes de Larroque Saint-Georges, Gilles Bertin, nouvelle — dans BRÈVES n°107, revue littéraire semestrielle, ISSN 0248 46 25 – EAN 978-2-91680-629-7, 160 p. 18 €

 

Israël Horovitz, Courtes pièces inédites — Avignon 2015

Israel Horovitz pièces courtes

Quatre pièces inédites courtes d’Israël Horovitz à Avignon, au Théâtre du Verbe Fou, jusqu’au 26 juillet. Format idéal pour le découvrir, c’était mon cas ce matin, rendez-vous depuis longtemps remis. Une très vieille femme cherche son chat dans Cat Lady. Comme lui, elle a eu au moins neuf vies. Son premier mariage à 16 ans et son enfant mort-né. Mariage annulé. C’est la propre histoire quasiment de Horovitz telle qu’il la raconte à propos d’une autre pièce courte — La Marelle — dans la préface de Dix pièces courtes :

J’avais 17 ans ma petite amie qui en avait alors 16 est tombée enceinte. Nous avons demandé conseil à nos parents. Dans la semaine qui suivit, ils ont organisé une cérémonie de rabbi et de noces. Six mois plus tard, le bébé est né avec une malformation des poumons. L’enfant a lutté durant 11 jours avant de mourir. Nos parents ont acheté un petit cercueil en béton et ont arrangé son enterrement dans une tombe sans inscription. J’ai senti que beaucoup d’adultes autour de nous était d’une certaine façon soulagés de voir le pêché effacé. Nous sommes restés mariés pendant quelques mois, sans savoir pourquoi ni l’un ni l’autre. Une nuit, nous avons fait chambre à part. […] Mon père, alors jeune avocat enthousiaste, arrangea l’annulation de notre mariage. Qu’est-ce que ça veut dire ? j’ai demandé. Mon père m’expliqua que l’annulation était une manière légale d’effacer le mariage des livres officiels comme s’il n’avait jamais eu lieu. Le mariage disparut… simplement, rapidement, légalement. Avant ce tour de magie, je ne me souviens pas d’avoir discuté de cette affaire avec mon père. L’écriture de La Marelle était une façon pour moi de réinscrire ce mariage dans les livres officiels. Ainsi, La Marelle résonne comme quelque chose de terriblement vrai. Et oui, je sais que c’est affreux cette manière nous nous, les artistes, nous prenons des événements de nos vies, nous les blanchissons, les reformons ; comme les étendons aux regards de tous sur des fils ô combien publics.

Extrait de la préface de Dix pièces courtes

Cette très vieille dame aura comme son chat égaré de nombreuses autres vies dont une au moins très réussie. Comme l’interprétation de Marie-Gaëlle Janssens-Casteels au service de l’humour, de la vacherie et de la tendresse d’Horovitz. Impossible d’en dire plus de l’histoire sans la spoiler. Par contre, il est possible de dire la féroce énergie qui se dégage de cette vieille femme à la recherche de ce chat si têtu, si déterminé à vivre sa propre vie, lui aussi.

Dans Le cadeau promotionnel, une jeune femme (Laurence Briand) semble être venue vendre une assurance–vie à une bourgeoise (Marie-Gaëlle Janssens-Casteels) d’un quartier résidentiel de New–York. Son mari est mort. Ils avaient adopté un enfant. Les deux femmes font connaissance prudemment. On devine qu’il ne s’agit pas d’assurance–vie. Un spectaculaire rebondissement au milieu de la pièce remet tout en question entre elles. Comme dans la pièce précédente, il est question de vie. De naissance. De maternité, de paternité. De quoi nourrissons-nous nos vies ? d’autres vies ? Horovitz parle du temps, de la vie. Surtout du temps de la vie. En mettant une loupe aux endroits essentiels. Confrontation de deux femmes autour d’un enfant à travers ces deux actrices.

La mise en scène de Bernard Lefrancq est simple et efficace, sans gras, comme l’écriture de Horovitz. Avec des actrices qui tracent des rosaces invisibles sur la scène, enchevêtrées et brillantes comme des traces d’escargot. Marie-Gaëlle Janssens-Casteels et Laurence Briand jouent très bien. Il reste jusqu’à dimanche pour les voir dans ces pièces et découvrir ces textes inédits d’Israël Horovitz. Avec en prime quelques uns de ces poèmes.


Infos pratiques : tous les jours à 10h45 jusqu’au 26 juillet, Théâtre Le verbe fou par la compagnie du même nom, 95 rue des Infirmières, Avignon — Réservation : 04 90 85 29 90 — 20 € Plein Tarif – 14 € Tarif carte off – Site web : Le verbe fou Festival 2015

Dix pièces courtes, Israël Horovitz, éd. Théâtrales, 288 pages, ISBN 978-2-84260-249-9 — Prix, 22,5€ — Nota : les 4 pièces inédites jouées ici ne figurent pas dans ce recueil.

Pourquoi pourquoi l’origine du langage

Bernard Victorri – L’origine du langage from O·H·N·K on Vimeo.

À supposer que Bernard Victorri, directeur de recherches au CNRS, dont la conférence de vulgarisation scientifique L’origine du langage a été publiée hier par Le Monde ait fait un jogging ce dimanche matin vers dix heures quinze au Parc de la Tête d’Or à Lyon, plus précisément dans les environs de l’entrée du côté boulevard des Belges, le seizième arrondissement lyonnais, mais cela n’a rien à voir avec les origines du langage, il aurait entendu un garçon de quatre ou cinq ans poser en pédalant des questions à son père, d’abord sur les raisons du décès du frère de son grand-père à l’âge d’un an, « Il avait de l’eau dans le cerveau, a dit le père, ce serait maintenant on pourrait le soigner » puis sur le cerveau lui-même ce qui aurait pu amener un sourire amusé sur le visage en sueur de Bernard Victorri repensant à son argumentation en trois points solidement étayés, à savoir la capacité des langues humaines à emboîter des phrases les unes dans les autres, à dérouler dans une même phrase des événements situés dans des temps différents et enfin à nuancer des assertions, trois arguments qu’au terme de sa conférence il a ramassé dans la supposition que les langues serviraient à l’humanité à raconter des histoires et, tout en courant à petites foulées économes sur l’allée de ceinture du parc jonchée de feuilles mortes, aurait-il sans doute découvert que toutes ses explications disertes durant cette conférence tenaient dans ce mot de ce gamin, « pourquoi », et se serait-il souvenu du nombre de pourquoi qu’un gamin pose et des trésors de langage nécessaires pour lui répondre, puis il en serait alors arrivé à ses propres pourquoi que lui, Bernard Victorri, directeur de recherches au CNRS en linguistique, à passer sa vie à formuler et explorer en utilisant le langage.

Conférence L’origine du langage donnée par Barnard Victorri en janvier 2014 dans le cadre de Les Ernest, 15 minutes pour changer notre vision du monde.