Tata Milouda, mon stylo, mon cahier

Ecoutez Tata Milouda :

Lorsque j’étais petite j’aurais aimé aller à l’école

mais mes parents ne voulaient pas

parce que j’étais fille

[…]

J’avais rêvé de prendre un stylo un cahier

A mon époque je ne trouvais pas mon stylo mon cahier

A 50 je trouve mon stylo mon cahier

[…]

grâce aux cours d’alphabétisation

[…]

Ecoutez Tata Milouda slamer !

(entendue ce dimanche sur France Inter dans l’émission Crumble de Marie-Pierre Planchon)

L’espace MySpace de Tata Milouda

Vases communicants d’Epamin

« …pourquoi ne pas imaginer, le 1er vendredi de chaque mois, une sorte d’échange généralisé, chacun écrivant chez un autre ? Suis sûr qu’on y découvrirait des nouveaux sites… ». Ainsi sont nés les vases communicants.

Aujourd’hui, Les Esperluettes d’Epamin’ et Lignes de vie s’invitent réciproquement.

Voici donc :

A eux

une esperluette d’Epamin’

Merci à toi, Gibi, de m’avoir invitée dans tes belles « Lignes de vie ».

Tous les deux sont partis.
Lui, voilà trente ans. Elle, il y a dix ans.

Un poète a dit: « La mort d’un arbre fait un trou dans la terre mais le trou béant laissé par la mort de l’arbre est encore plus grand dans le ciel. »

Malgré le temps qui passe, leur absence m’est chaque jour douloureuse. Je leur dois tant. Je les aimais tant. J’avais encore tant d’amour à leur donner.

Si aujourd’hui je sais faucher l’herbe, repriser les chaussettes, planter des tomates, faire des conserves et des confitures, poser du papier peint, me servir d’un fusil à aiguiser, peindre des volets, faire un ourlet et du point de chausson, tailler les rosiers, couper du bois, faire du vélo, chantonner de vieilles chansons…, c’est grâce à eux!

Si j’ai une impressionnante collection de timbres français, si j’aime le forsythia,  le muguet, le mimosa et les glaïeuls, si je ne sais pas coudre sans dé, si j’adore le gâteau de riz au caramel, si j’aime mettre mes mains dans la terre, si j’aime les vieux outils, si j’aime et je respecte la nature…, c’est grâce à eux!

Si j’aime entendre le bruit de la soupape d’une cocotte-minute, le grincement d’une roue de brouette, le crépitement d’un rôti dans une casserole, le bruit d’une scie circulaire, le crissement des pas dans la neige et tant d’autres petits bruits de vie, c’est que l’espace d’un instant, je me retrouve auprès d’eux.

Si j’ai aujourd’hui le vieux couteau de mon grand-père dans un des tiroirs de ma cuisine, la vieille machine à coudre à pédale de ma grand-mère dans mon salon et leur petit miroir baroque sur le palier, c’est pour avoir un peu d’eux tout près de moi, chaque jour.

Je leur dois, en grande partie, ce que je suis aujourd’hui et je crois qu’ils seraient fiers de ce qu’est devenue leur petite-fille… C’est pourquoi, en décembre, lors de la naissance de mon petit-fils, qui m’a procuré un bonheur indescriptible et une joie immense, j’aurais tant aimé qu’ils soient encore là, pour partager tout cela avec moi.

Pépère & Mamie, comme vous me manquez, comme vous me manquez…

Mais je serai, un jour,
légère dans une jolie boîte rouge,
tout près de vous, pour l’éternité…

Texte de Epamin’

Retrouvez mon texte ici, parmi ses esperluettes et goûtez-les, dégustez-les.

Les autres vases communicants :

Etonnant, non ? comme aurait dit Pierre Desproges.

Végétal, Antoine Percheron

Végétal, Antoine Percheron - éd. L'Escampette - Illustration de couverture : L'Hiver Arcimbolod, 1563
En couverture : L'Hiver Arcimboldo, 1563

Voyeurisme d’écrire sur ce livre, pas terminé, retrouvé dans les papiers d’Antoine Percheron après sa mort, racontant une métamorphose :

Un jour, j’ai changé d’odeur. Je me suis mis à sentir le végétal.

La dernière, la maladie :

Je suis tout simplement en train de pourrir, je tombe en décomposition : c’est le printemps, ou l’automne.

C’est des deux : Antoine Percheron a vingt-cinq ans et déjà il doit attaquer la fin de sa vie.

De chapitre court en chapitre court, quelques lignes, souvent moins d’une page (comment lâcher ce livre écrit avec un tel rythme ?), il, celui qui raconte, devient arbre, résiste, s’évade, est quitté par les humains, sa petite amie, cherche parmi les arbres, les chênes, combat la maladie à coup de marrons.

Parce que tous les prolongements humains que je possédais s’allongeraient certainement, mais surtout changeraient de texture ! De bras en bûches, de mains en branches, de doigts en feuilles.

Ca pousse en lui, il le sent. Il se moque de lui de crainte qu’on se moque de lui :

— Mon nom à moi, c’est l’Incroyable Hulk, tâche de pas l’oublier, j’ai lâché en allumant une de leurs clopes.

[…] je me suis enfui comme tous les méchants de cinéma, sans me retourner, les yeux hagards et

Suit un blanc dans le texte. Il y a en a de nombreux dans ce récit, et pour cause puisque Antoine Percheron est mort sans avoir jamais pu les remplir.

Récit conscient de la dernière métamorphose de l’homme, écrit par un homme si jeune. D’où cette gêne à le lire mais sans jamais pouvoir le quitter. Même neuf ans après l’avoir lu.

Végétal, Antoine Percheron, éd. L’Escampette, 2001, 38 pages, 6 euros et 10 centimes

Match Arnaud Fleurent-Didier / Superflu

Gros coup de coeur ce matin en entendant Arnaud Fleurent-Didier chanter. Ses textes s’insinuent dans une partie de ce que nous avons vécu d’intime entre parents et enfants ces 10, 20, 30 dernières années. Education, transmission, passage entre générations, bilan mitigé. Il se pose des questions. Il regrette. Inventorie. Ce que lui  ont donné ses parents. Il ne va pas jusqu’à aborder de front les thèmes barbelés de la vraie misère : perte d’emploi, de logement, rue, maladie. Il reste assez soft même si ses textes sont (potentiellement…) plus insidieux qu’ils n’en ont l’air. Et sur des musiques pop douces. Il devrait donc être aussi consensuel que Delerm. Avec son talent d’écriture et de composition, il  faut l’encourager à d’autres explorations.

Cette qualité d’écriture est l’occasion d’évoquer un groupe fort littéraire des années 90 qui lui n’a jamais accédé au succès très grand public, Superflu, aux chansons (entre autres d’amour) très nostalgiques. Dieu que j’ai aimé Superflu ! Si vous en avez l’occasion, procurez-vous leurs CD.

D’abord Superflu avec Et puis après on verra bien, puis France Culture, la chanson d’Arnaud Fleurent-Didier très tendance en ce moment. On y va :

J’ai saigné, Blaise Cendrars

1915. En Champagne. Un hôpital. Blaise Cendrars n’a plus de bras droit. On lui a coupé. Il s’est engagé, volontaire pour cette guerre. On le trimballe dans un taxi avec d’autres soldats.

– Maman !… maman !… gueulait l’homme couché au-dessus de moi. O Maman !…

On l’emmène dans une maison religieuse qui sert de lieu de convalescence ou de mouroir, c’est selon. Là, la misère de cette guerre. La machine à commander, la machine à panser, la machine à survivre. Tout le monde révèle son humanité, pour quelques personnes parmi celles qui souffrent ou qui soignent elle est sublime :

Et l’infirmière sortait pleine de foi, vaquer à ses autres travaux, pour revenir deux, trois heures après faire risette à l’homme-poupon et recommencer à lui réapprendre tout par le commencement avec une merveilleuse, une angélique, une inépuisable et radieuse patience.

Cendrars par Modigliani
(c) Archives Littéraires Suisses, Bern

Blaise a pour compagnon de chambre un berger landais qui a reçu 72 éclats dans le bas des reins, autant de plaies, dont une traversante infectée par les matières fécales. Partout, tout le temps, sans cesse, la douleur.

Pauvre gosse ! C’est ce petit berger des Landes qui m’a fait comprendre que si l’esprit humain a pu concevoir l’infini c’est que la douleur du corps humain est également infinie et que l’horreur elle-même est illimitée et sans fond.

Au milieu de ce capharnaüm, de cette litanie de cris, la puissante vitalité de Blaise Cendrars prend les commandes. Il se met à boxer avec son moignon. Son bras cicatrise à une vitesse-record. Puis il jongle dans son lit avec des oranges, de menus objets, apprenant à se servir de sa main gauche et de son moignon. Plus tard, dans la vie civile, il pratiquera des sports violents.

grâce à quoi, aujourd’hui, je pilote aussi bien mon automobile de course que j’écris à la machine ou sténographie de la main gauche, ce qui me vaut de la joie.

Cette force de vie, on la retrouve dans toute l’oeuvre de Cendrars. Dans son style où il mêle réel et imaginaire. Ici, dans ce court récit, elle raconte deux choses essentielles.  Mieux que tout documentaire historique : l’absolue horreur de la guerre. Et l’absolue nécessité de choisir la vie. L’aventurier, le reporter, l’écrivain  fera ce choix avec entièreté, toute sa vie. Et dans son écriture. Avec une seule main, mais quel homme, quel style !

J’ai saigné, Blaise Cendrars, éd. Mini Zoe, 3 euros 50, 56 pages


A propos de cette rubrique « Petits livres costauds »

J’ai saigné, Blaise Cendrars est le premier billet d’une série consacrée à de petits livres de moins de 80 pages. Le genre de bouquins qui tombe au fond des rayons de bibliothèques, qui tient dans une poche de chemise, qui coûte quelques euros, qui se lit en moins de deux heures.

Ce seront toujours des petits livres coups de poing.

Des petits livres costauds.