Lieux parisiens de Voyage de noces de Patrick Modiano

Voyage de noces, Patrick Modiano, prix Nobel 2014 — Lieux
Relevé des principaux lieux parisiens de « Voyage de noces » de Patrick Modiano, prix Nobel 2014 — Il aurait fallu aussi relever les lieux du roman sur la Côte d’Azur et à Milan. Et les doter d’une troisième dimension « temps ».

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Rue Spontini

Une voix de femme m’a dit « qu’on n’avait pas vu M. Rigaud depuis longtemps ». Est-ce que je pouvais lui écrire ? « Si vous voulez, Monsieur. Je ne vous garantis rien. » Alors, je lui ai demandé l’adresse de KLÉBER 83–85. C’était un immeuble d’appartements meublés, rue Spontini.

20, boulevard Soult

Je me suis contenté de m’asseoir sur le banc, à la hauteur du numéro 20. Les lampadaires se sont allumés. Je ne quittais pas des yeux la façade de l’immeuble, et l’entrée de l’allée latérale. Au premier étage, une seule fenêtre était éclairée maintenant, ses deux battants ouverts à cause de la chaleur. Quelqu’un habitait ce petit appartement que j’imaginais composé de deux pièces vides. Rigaud ?

Hôtel Dodds, Porte Dorée

J’avais donc prévu de changer d’hôtel tous les huit jours et de les choisir dans ces quartiers périphériques de Paris que je fréquentais autrefois. Du Dodds, porte Dorée, je comptais me transporter à l’hôtel Fieve, avenue Simon-Bolivar. Je devais partir ce soir mais je n’ai pas demandé ma note. Moi qui avais parcouru tant de kilomètres entre les divers continents, la perspective d’un trajet en métro de la porte Dorée aux Buttes-Chaumont m’a fait peur.

3, rue de Tilsitt

En tout cas, le 3 de la rue de Tilsitt avait été le domicile de la mère de Rigaud, et l’endroit où Rigaud habitait au moment où il avait fait la connaissance d’Ingrid : elle m’avait dit sa surprise quand Rigaud l’avait emmenée dans cet appartement où il vivait seul, pour quelques semaines encore, et le sentiment de sécurité que lui avaient inspiré les meubles anciens, les tapis qui étouffaient les pas, les tableaux, les lustres, les boiseries, les rideaux de soie et le jardin d’hiver…

La cité Véron

J’ai profité du 14 juillet pour me glisser dans notre appartement de la cité Véron sans attirer l’attention de personne. J’ai emprunté l’escalier qu’on n’emploie plus, derrière le Moulin-Rouge. Au troisième étage, la porte donne accès à un cagibi. Avant mon faux départ pour Rio de Janeiro, j’avais pris la clé de cette porte – une vieille clé Bricard dont Annette ne soupçonne pas l’existence – et laissé ostensiblement sur ma table de nuit la seule clé qu’elle connaisse, celle de la porte principale de l’appartement.

et aussi

  • Zoo de Vincennes, Rocher au Chamois, le narrateur s’assied face au lac Daumesnil.
  • Rue Jouffroy, l’agence de voyage, où le narrateur achète un billet d’avion pour Milan aller-retour.
  • Rue de Rivoli, un grand hôtel où le narrateur entre, ayant « éprouvé le besoin de téléphoner à KLÉBER 83-85. »
  • Rue du Faubourg Saint-Honoré, L., une illustre maison de couture où Annette fut modèle.
  • 19 Rue de l’Atlas, où enfant habitait Ingrid avec son père
  • Rue d’Armaillé, le restaurant Chez Moitry
  • Rue Championnet, l’hôtel  où a résidé le narrateur avec Annette, « cet hiver du début des années soixante, où il a fait si froid à Paris »
  • 39 Boulevard Ornano où réside le père d’Ingrid quand il publie une annonce la recherchant.
  • Avenue Duquesne, l’appartement de Cavanaugh, l’amant d’Annette et le collègue du narrateur.

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Voyage de noces, Patrick Modiano, éditions Gallimard, 1990

Les citations ci-dessus sont tirées de la version électronique au format ePub que l’on peut se procurer par exemple chez Decitre au prix de 5,99€.

Edward Gorey, Total zoo

Magnifique publication chez les éditions Attila devenues depuis Le Tripode d’un bijou, la traduction par Jacques Roubaud de The Utter Zoo: An Alphabet de l’illustrateur américain Edward Gorey. Chacun des 26 dessins porte en regard sur la page gauche un texte mix d’ironie et de pirouette, traduit par Jacques Roubaud.

Le Kwongdzu a d’énormes serres
Que de défauts dans son caractère !

Edward Gorey — Total zoo — Le Kwongdzu     Le Kwongdzu a d'énormes serres / Que de défauts dans son caractère !
Edward Gorey — Total zoo — Le Kwongdzu
Le Kwongdzu a d’énormes serres / Que de défauts dans son caractère !

Le Twibbit a avec ses doigts
De pied des problèmes parfois

Edward Gorey — Total zoo — Le Twibbit
Le Twibbit a avec ses doigts / De pied des problèmes parfois

Quelques pages sont consacrées soit par Jacques Roubaud lui-même, soit de l’ouvrage initial américain The Utter Zoo: An Alphabet, quelques pages donc sont consacrées à la fin de ce magnifique livre jacquetté pistache à l’amour des mots d’Edward Gorey, artiste que m’a fait découvrir une amoureuse de Jorge Luis Borges avec qui nous parlions de Le Livre des êtres imaginaires. Pages qui dévoilent un homme pur, entier et attachant, ce dernier trait transparaissant dans chacun des 26 dessins de ce beau livre.

Total zoo, Edward Gorey, Jacques Roubaud (traducteur), 2012,ex éditions Attila devenues Le Tripode, 60 pages, 13€

Une riche fiche du livre chez l’éditeur : http://le-tripode.net/livre/edward-gorey/total-zoo

Edward Gorey — Total zoo — Le livre chez éditions Attila

Du côté de chez Swann

C’est l’été, voici un billet paresseux autour d’un sublime extrait du début de la Recherche agrémenté d’un grand moment de la chanson playback française. Le petit Marcel vient à sa grande surprise d’obtenir bien plus que ce baiser de sa mère qui lui manque chaque soir, à la demande de son mari elle va dormir dans la chambre du « petit ».

Je restai sans oser faire un mouvement ; il était encore devant nous, grand, dans sa robe de nuit blanche sous le cachemire de l’Inde violet et rose qu’il nouait autour de sa tête depuis qu’il avait des névralgies, avec le geste d’Abraham dans la gravure d’après Benozzo Gozzoli que m’avait donnée M. Swann, disant à Sarah qu’elle a à se départir du côté d’Isaac. Il y a bien des années de cela.

Sur le plateau de l’émission de Maritie et Gilbert Carpentier, DAVE chante « Du côté de chez Swann » dans un décor hivernal, vêtu d’un pull-over et d’une écharpe. Des figurants-patineurs (à roulettes), pas très assurés, évoluent autour de lui.
Archive vidéo INA

La muraille de l’escalier où je vis monter le reflet de sa bougie n’existe plus depuis longtemps. En moi aussi bien des choses ont été détruites que je croyais devoir durer toujours, et de nouvelles se sont édifiées donnant naissance à des peines et à des joies nouvelles que je n’aurais pu prévoir alors, de même que les anciennes me sont devenues difficiles à comprendre. Il y a bien longtemps aussi que mon père a cessé de pouvoir dire à maman : « Va avec le petit. » La possibilité de telles heures ne renaîtra jamais pour moi. Mais depuis peu de temps, je recommence à très bien percevoir si je prête l’oreille, les sanglots que j’eus la force de contenir devant mon père et qui n’éclatèrent que quand je me retrouvai seul avec maman. En réalité ils n’ont jamais cessé ; et c’est seulement parce que la vie se tait maintenant davantage autour de moi que je les entends de nouveau, comme ces cloches de couvents que couvrent si bien les bruits de la ville pendant le jour qu’on les croirait arrêtées mais qui se remettent à sonner dans le silence du soir.

À la recherche du temps perdu, Du côté de chez Swann, Marcel Proust — Numérisé à partir de l’édition Gallimard 1946-47 et mis en ligne par la Bibliothèque électronique du Québec, site de Jean-Yves Dupuis proposant des textes d’auteurs appartenant au domaine public, http://beq.ebooksgratuits.com/vents/proust.htm

Dave, Du côté de chez Swann, http://www.ina.fr/video/I04337338/dave-du-cote-de-chez-swann-video.html

 

Spoon river — Edgar Lee Masters

Spoon river, Edgar Lee Masters, éditions Champ libre, 1976,  édition américaine originale 1914

Où sont Elmer, Herman, Bert, Tom et Charley
le veule, le fortiche, le clown, le poivrot, le bagarreur ?
Tous, tous dorment sur la colline.

Ce sont cinq des 362 personnages de ce recueil, chacun héros d’un de ses 362 poèmes.

Doc Hill

À toute heure du jour et de la nuit
j’arpentais les rues, allant ici et là,
soignant les pauvres frappés par la maladie.
Savez-vous pourquoi ?
Ma femme me détestait, et mon fils allait à la dérive.
Je me suis donc tourné vers les gens, pour déverser mon amour.
Comme il m’était doux de voir les foules sur les pelouses le jour de mes funérailles,
et de les entendre murmurer leur amour et leur chagrin.
Mais, ô mon dieu, mon âme a tressailli, à peine capable de se tenir au bastingage de la nouvelle vie,
quand j’ai vu Em Stanton derrière le chêne
qui abrite ma tombe
se cachant, elle et sa peine !

Ils sont tous couchés dans le cimetière de la petite ville de Spoon River, au bord de la rivière du même nom. Tous ces récits s’entremêlent, ils se connaissaient tous peu ou prou, formant un réseau narratif d’une ampleur enthousiasmante.

Andy le veilleur de nuit

Avec mon manteau espagnol
mon vieux chapeau mou,
mes souliers enveloppés de feutre,
Tyke, mon chien fidèle
et mon bâton noueux de noyer blanc,
j’allais de porte en porte sur la place
muni de ma lampe-tempête.
Les étoiles de minuit tournoyaient dans le ciel,
la cloche de l’église tintait doucement au souffle du vent,
les pas fatigués du vieux Doc Hill
sonnaient comme ceux d’un noctambule,
et au loin un coq chantait.
À l’heure qu’il est, un autre veille sur Spoon River,
comme d’autres veillèrent avant moi.
Et nous voici, le vieux Doc Hill et moi,
là où personne ne cambriole
et où le veilleur est inutile.

Peu à peu, en lisant ces textes possédant chacun sa petite part de transcendance par dessus un bon vieux morceau d’humain, se reconstitue à la fois cette ville américaine début vingtième siècle avec son ambiance typique et les sentiments et passions liant chaque communauté d’êtres humains.

Sonia la Russe

Née à Weimar
d’une mère française
et d’un père allemand, savant, professeur,
orpheline à quatorze ans,
je suis devenue danseuse sous le nom de Sonia la Russe.
À Paris j’ai fait les Boulevards,
maîtresse d’une flopée de ducs et de comtes,
et plus tard de rapins et de poètes.
À quarante ans, finie, je me suis dirigée vers New-York.
Sur le bateau j’ai fait la connaissance du vieux Patrick Hummer,
plein de verdeur malgré sa soixantaine
qui s’en retournait chez lui après avoir vendu
un plein bateau de bétail dans la ville de Hambourg.
Il m’a amenée à Spoon River et nous avons vécu ici vingt ans — on nous croyait mariés !
Ce chêne près de moi est le rendez-vous favori
des geais qui babillent tout le long du jour.
Pourquoi pas ? Car ma poussière même rit
en pensant à cette affaire drôle qu’est la vie.

Son auteur Edgar Lee Masters quitte très vite le métier d’avocat imposé par sa famille pour rejoindre l’école réaliste américaine à Chicago : Hemingway, Upton Sinclair… Spoon River Anthology lui vaudra et lui vaut toujours la célébrité, ce recueil a été réédité moult fois aux Etats-Unis depuis sa parution en 1914.

Minerva Jones

J’étais Minerva Jones, la poétesse du village,
la risée des rustauds de la rue
à cause de mon corps lourdaud, de mon oeil qui louchait et de ma démarche dandinante. Mais ce fut bien pis encore quand «Butch» Weldy
m’eut prise à l’issue d’une chasse brutale.
Il m’a laissée à mon sort chez le docteur Meyers,
et j’ai sombré dans la mort, sentant le froid me gagner depuis les pieds,
comme quelqu’un qui avance pas à pas dans un ruisseau glacé.
Quelqu’un ira-t-il au journal du village
rassemble dans un livre les vers que j’écrivais ?
J’avais si soif d’amour !
J’avais si faim de vie !

En France, trois traductions ont été publiées, dont la première en 1976 par Michel Pétris et Kenneth White (souligne justement Francesco Pittau dans un commentaire sur Facebook). Les deux versions papier sont épuisées, on en trouve quelques exemplaires d’occasion à des prix inabordables.

Mais il faut surtout parler aujourd’hui du travail remarquable du collectif Général Instin publié sur le blogue AMBO(I)LATI de Benoît Vincent. Une publication ou republication papier serait très souhaitable, je fais ici un gros clin d’oeil à l’éditeur de la traduction française de W.S. Graham réalisée par  Anne-Sylvie Homassel et Blandine Longre, Black Herald Press.

Spoon River, Edgar Lee Masters - Critique, Philippe-Guilhon, Le Quotidien 1976

Où nos ombres s’épousent, Stéphane Bataillon

Il l’a perdue, il lui a écrit des poèmes. À qui écrit-on lorsqu’on s’adresse à celle ou celui qui est parti ? C’est le premier recueil de Stéphane Bataillon. Une langue simple. Celle de nous tous. Aucun cri. La peine bordée. Juste parfois quelques clichés poétiques, un maréchal-ferrant, une meute, une flamme de bougie, mais je suis rarement bon public. Ce recueil caresse d’une main attentive ce sujet si souvent abordé.

Je n’ai pas la douleur

Je n’ai pas le besoin

et je n’ai pas l’exil

J’ai juste perdu

celle que j’aimais.

page 11,

et

Bien sûr, l’asphyxie

Bien sûr, le pourquoi

crier sans voix au fond de l’ombre

Mais quelque chose

qui nous dit d’attendre

Que nous devrons nommer

Quelque chose de simple.

page 17, et encore

Conserver seulement

ce qui est nécessaire

Ne garder que les mots

et puis les écouter.

page 25, et enfin, sur une touche romantique, page 69

Une étendue de sable

La mer au loin. Du vent.

L’image se brouille

Tu te penches pour ramasser

un galet, puis deux

Tu récoltes avec soin

ces vieux témoins du monde

Comme s’ils pouvaient se fendre

et comme si ta chaleur

assurait leur survie

Tu me dis :

«C’est important, les galets »

Tu es belle.

Où nos ombres s’épousent, Stéphane Bataillon, éd. Bruno Doucey, 93 pages, 10€

Le site de Stéphane Bataillon : www.stephanebataillon.com