Spoon river — Edgar Lee Masters

Spoon river, Edgar Lee Masters, éditions Champ libre, 1976,  édition américaine originale 1914

Où sont Elmer, Herman, Bert, Tom et Charley
le veule, le fortiche, le clown, le poivrot, le bagarreur ?
Tous, tous dorment sur la colline.

Ce sont cinq des 362 personnages de ce recueil, chacun héros d’un de ses 362 poèmes.

Doc Hill

À toute heure du jour et de la nuit
j’arpentais les rues, allant ici et là,
soignant les pauvres frappés par la maladie.
Savez-vous pourquoi ?
Ma femme me détestait, et mon fils allait à la dérive.
Je me suis donc tourné vers les gens, pour déverser mon amour.
Comme il m’était doux de voir les foules sur les pelouses le jour de mes funérailles,
et de les entendre murmurer leur amour et leur chagrin.
Mais, ô mon dieu, mon âme a tressailli, à peine capable de se tenir au bastingage de la nouvelle vie,
quand j’ai vu Em Stanton derrière le chêne
qui abrite ma tombe
se cachant, elle et sa peine !

Ils sont tous couchés dans le cimetière de la petite ville de Spoon River, au bord de la rivière du même nom. Tous ces récits s’entremêlent, ils se connaissaient tous peu ou prou, formant un réseau narratif d’une ampleur enthousiasmante.

Andy le veilleur de nuit

Avec mon manteau espagnol
mon vieux chapeau mou,
mes souliers enveloppés de feutre,
Tyke, mon chien fidèle
et mon bâton noueux de noyer blanc,
j’allais de porte en porte sur la place
muni de ma lampe-tempête.
Les étoiles de minuit tournoyaient dans le ciel,
la cloche de l’église tintait doucement au souffle du vent,
les pas fatigués du vieux Doc Hill
sonnaient comme ceux d’un noctambule,
et au loin un coq chantait.
À l’heure qu’il est, un autre veille sur Spoon River,
comme d’autres veillèrent avant moi.
Et nous voici, le vieux Doc Hill et moi,
là où personne ne cambriole
et où le veilleur est inutile.

Peu à peu, en lisant ces textes possédant chacun sa petite part de transcendance par dessus un bon vieux morceau d’humain, se reconstitue à la fois cette ville américaine début vingtième siècle avec son ambiance typique et les sentiments et passions liant chaque communauté d’êtres humains.

Sonia la Russe

Née à Weimar
d’une mère française
et d’un père allemand, savant, professeur,
orpheline à quatorze ans,
je suis devenue danseuse sous le nom de Sonia la Russe.
À Paris j’ai fait les Boulevards,
maîtresse d’une flopée de ducs et de comtes,
et plus tard de rapins et de poètes.
À quarante ans, finie, je me suis dirigée vers New-York.
Sur le bateau j’ai fait la connaissance du vieux Patrick Hummer,
plein de verdeur malgré sa soixantaine
qui s’en retournait chez lui après avoir vendu
un plein bateau de bétail dans la ville de Hambourg.
Il m’a amenée à Spoon River et nous avons vécu ici vingt ans — on nous croyait mariés !
Ce chêne près de moi est le rendez-vous favori
des geais qui babillent tout le long du jour.
Pourquoi pas ? Car ma poussière même rit
en pensant à cette affaire drôle qu’est la vie.

Son auteur Edgar Lee Masters quitte très vite le métier d’avocat imposé par sa famille pour rejoindre l’école réaliste américaine à Chicago : Hemingway, Upton Sinclair… Spoon River Anthology lui vaudra et lui vaut toujours la célébrité, ce recueil a été réédité moult fois aux Etats-Unis depuis sa parution en 1914.

Minerva Jones

J’étais Minerva Jones, la poétesse du village,
la risée des rustauds de la rue
à cause de mon corps lourdaud, de mon oeil qui louchait et de ma démarche dandinante. Mais ce fut bien pis encore quand «Butch» Weldy
m’eut prise à l’issue d’une chasse brutale.
Il m’a laissée à mon sort chez le docteur Meyers,
et j’ai sombré dans la mort, sentant le froid me gagner depuis les pieds,
comme quelqu’un qui avance pas à pas dans un ruisseau glacé.
Quelqu’un ira-t-il au journal du village
rassemble dans un livre les vers que j’écrivais ?
J’avais si soif d’amour !
J’avais si faim de vie !

En France, trois traductions ont été publiées, dont la première en 1976 par Michel Pétris et Kenneth White (souligne justement Francesco Pittau dans un commentaire sur Facebook). Les deux versions papier sont épuisées, on en trouve quelques exemplaires d’occasion à des prix inabordables.

Mais il faut surtout parler aujourd’hui du travail remarquable du collectif Général Instin publié sur le blogue AMBO(I)LATI de Benoît Vincent. Une publication ou republication papier serait très souhaitable, je fais ici un gros clin d’oeil à l’éditeur de la traduction française de W.S. Graham réalisée par  Anne-Sylvie Homassel et Blandine Longre, Black Herald Press.

Spoon River, Edgar Lee Masters - Critique, Philippe-Guilhon, Le Quotidien 1976

Publié par

Gilles Bertin

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2 réflexions au sujet de « Spoon river — Edgar Lee Masters »

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