Fiel, mon envie

Si la notion de péché capital est has been aujourd’hui, elle demeure pourtant diablement présente en ce qui concernent l’envie ainsi que son marqueur le plus indubitable, le fiel. Près de deux millénaires après l’invention du concept par Evagre le Pontique dans sa retraite ascétique dans le désert, l’envie perdure, aussi basique, atavique, primaire qu’alors, tant dans le for intérieur des individus qui s’y abandonnent (avec délectation, perversité, égoïsme ?) que polluante, voire empoisannante au sens premier du mot, au sein des groupes dans lesquels ils vivent. On peut s’y laisser prendre si l’on n’a pas l’œil. Car l’envie à l’origine du fiel avance toujours masquée, habilement. Deux études de cas.

Première, à l’entrée de la cafétéria du service central d’une université, un matin. Protagonistes : deux hommes, A1 et B1. A1 est de passage, il a été employé ici durant un certain nombre d’années. B1 est celui qui est à la cause du départ de A1. Il avait été mis au-dessus de lui. Autour de A1, quelques collègues heureux de revoir A1 et de lui demander de ses nouvelles. Surgit B1. Quelle est sa réflexion après avoir salué A1 ? Un pur morceau de fiel : « Ah, ça paie bien XXX. » (XXX est le nouvel employeur de A1), fait-il à A1 en désignant la très belle veste en cuir que porte celui-ci.

Deuxième cas, lors de la réunion mensuelle d’une association. Protagonistes : deux femmes, A2 et B2. A2 papote avec 4 ou 5 autres membres de l’association, toutes des femmes. Surgit B2. « Ah, fait-elle à A2, on ne te voit plus. Tu ne viens jamais chez moi (B2 accueille une fois par semaine des membres de l’association). Tu devrais venir ! » Un moment de silence puis elle place son morceau de fiel : « C’est sûr, quand on est avec quelqu’un… »

B1 et B2, même combat. Ils s’attaquent à A1 et A2 pour la même raison de fond, ils les envient. A1 parce qu’il gagne plus que B1. A2 parce qu’elle a une relation amoureuse alors que B2 est seule. Leurs deux remarques sont des vrilles qu’ils enfoncent dans la peau de leurs victimes sans défense, des vrilles très fines, en apparence anodines, en apparence seulement, car elles vont faire leur effet durant des jours, des semaines, voire des mois à la fois chez leurs victimes et dans les esprits des témoins de la scène. B jouent et gagnent sur tous les tableaux. Ils culpabilisent A de leur bonne fortune (au lieu de s’en réjouir, ce qui est la définition même de la jalousie), se présentent ainsi sans le dire explicitement comme de « pauvres » victimes et associent les témoins de la scène à leur cause.

Car, et cela est à remarquer, dans nos deux cas comme dans tous les autres, cela se passe toujours devant témoins. Non seulement parce que l’effet maximal est obtenu ainsi mais aussi parce que leurs victimes ne pourront pas se défendre. L’attaque est trop soudaine, trop inattendue. En plus, elle est présentée avec le sourire (toujours !), avec un argument imparable, la belle veste en cuir, la relation amoureuse. Sur le coup, les victimes de ces attaques n’ont pas le temps de comprendre et d’analyser la vraie raison de ces attaques. Et pour cause, elles sont centrées alors sur la petite blessure que vient de leur faire B en attaquant quelque chose qui leur est cher, cette veste dont A1rêvait depuis des années, cet être cher dont A2 avait envie de partager la vie. B cherche à blesser A et y parvient afin que A ne puisse pas réagir, se défendre, contreattaquer. Il faudrait à A un grand esprit d’à propos. Il lui faudrait presser la touche Pause de sa télécommande « situations humaines » s’il en existait une pour figer la scène, le temps pour A de décrypter puis de renvoyer B dans les cordes avec la réponse appropriée. Pour B1, c’était facile, il suffisait d’évoquer la voiture coûteuse (et à la consommation indécente) dont il est propriétaire. Pour B2, il aurait suffi de lui dire « Ouh la jalouse !… »

Le clou pour les envieux, la manifestation du fait que ce sont eux qui ont raison, qui sont des victimes, est le silence de ceux qu’ils agressent. Ce silence vaut preuve tacite. Et c’est ce silence de leurs victimes qui restera comme un aveu, sauf si les témoins de la scène sont suffisamment fins pour la décoder. Mais, parions que dans ce cas là, les envieux savent s’adapter à leurs spectateurs en imaginant et jouant un scénario encore plus pervers.

Brel, Brel !

30 ans ! Un ami est venu dans ma chambre d’étudiant me dire, ton idole est morte. Je ne m’étais pas rendu compte que Brel était mon idole. Oui, Brel a été un modèle pour moi. Une amie à moi admire Johnny. On se moque souvent d’elle gentiment parce qu’elle déclare sa flamme pour Johnny avec beaucoup d’amour, de simplicité, d’admiration sans fard, en toute simplicité. Alors oui, j’aimais Brel. J’avais vingt ans. J’en ai cinquante et j’aime toujours Brel. France Musique vient de diffuser Voir :

Voir la peur inutile et la laisser aux crapauds…