Vases communicants de Balmolok

« …pourquoi ne pas imaginer, le 1er vendredi de chaque mois, une sorte d’échange généralisé, chacun écrivant chez un autre ? Suis sûr qu’on y découvrirait des nouveaux sites… ». Ainsi sont nés les vases communicants. Aujourd’hui, Balmolok et Lignes de vie s’invitent réciproquement.

Hammam

Texte de Balmolok et illustration de Cali Rezo

J’ouvre une première porte vers l’humidité, tiède, enveloppante.
Mes lèvres restent closes.
J’avance sans regarder, juste éveillée aux perceptions cutanées.
Le silence bourdonne, quelques voix l’accompagnent sporadiques.
La douche me fait du bien, l’eau glisse, me recouvre et s’en va.
Elle ne reste pas, elle se tait de me lire.
En douceur elle passe sur ce qui reste sensible, encore…
C’est trop tôt pour oublier.
Le savon m’apporte de nouvelles senteurs inconnues,
boisé, épicé comme dans des bras masculins.
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J’ouvre la deuxième porte.
J’avance sans réfléchir, parce que c’est le sens qu’il faut suivre,
et que ça fait du bien de se laisser aller dans le courant,
portée, allégée.
Le brouillard est plus dense et plus chaud déjà.
Cette chaleur…
Je reste debout, je ne veux pas me poser, je tourne, je touche…
Les parois, ma serviette, la faïence… Je lis.
Mes pages se tournent, j’ai le vertige.
Appuyée contre une colonne, je ferme les yeux, retrouve l’équilibre.
Mon corps s’est habitué à la chaleur, je poursuis ma progression, lente.
Je ne veux pas m’arrêter.
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Je pousse la troisième porte.
J’avance toujours, encore.
Le manteau est intense, fort.
Je me blottis en lui, enfin rassurée.
Je ne vois plus rien, ni de la pièce ni de moi.
Je ne vois plus mes «aspérités»,
juste… je les sens, douloureuses, marquées, profondes, amères.
Je m’imprègne de cette humide brûlure, la respire.
Elle est sur moi, elle est en moi.
Mes maux transpirent, mes mots se taisent.
Chaque pore de ma peau expulse, chaque expire me libère.
Je me replie en tendresse sur le sol,
je laisse vagabonder mes rêves.
Ils s’envolent et respirent, légers, fous.
Je les aime, ils me tiennent.
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hammam2
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Le temps s’est écoulé; pas assez mais…
Je sors.
J’avance.
L’huile d’argan,
sa caresse…
Je rentre dans un parfum.
«Koublaï Khan»
Comme le titre d’un livre,
il m’emporte vers quelques aventures délicieuses.
Je m’en imprègne, je le fais mien, nouveau sillage,
nouvelles sensations, demain…
Mon visage tourné du bon côté, abîmé, maquillé, caché.
Je ne me regarde pas, me ressentir me suffit.
Je renais, mes sens éveillés par ce bain.
Accouchée du brouillard que j’ai du mal à quitter,
je me déplie, je respire, je vais, je vis…
separateur-paragrapheLes autres participants aux vases communicants :

Une carte de cinéma

Si vous aimez à la fois le cinéma et les atlas, les mappemondes, les cartes, les plans de métro alors vous allez adorer cette carte des 250 meilleurs films de tous les temps publiée en juillet sur le passionnant blog de passionnés du cinéma Vodkaster.

Réalisée par David Honnorat, un fou de cinéma et (entre autre) webmaster de Vodkaster sous la forme d’un plan de métro, elle utilise la base de données de films IMDb et la sélection de ses utilisateurs dans cette base. David Honnorat y a tracé 20 lignes, chacun de ces 250 films étant une station : chefs d’oeuvres de tous les temps, comédies, drames, SF, horreur, etc.

250meilleurs-filmsLa carte des 250 meilleurs fils de tous les temps, David Honnorat, Vodkaster

Je me suis pris à rêver d’une même carte pour les livres. Elle serait l’objet bien sûr de furieux débats comme celle de David Honnorat. Peut-être existe-t-elle déjà ? Sinon, elle aurait pu être basée sur l’excellent site zazieweb mille fois hélas en pause (si vous dirigez un fonds de pension américain ou helvète, contactez Isabelle, sa fondatrice) ou sur le réseau social de passionnés de bouquins et de partage de bibliothèques et de livres LibraryThing.

Vous pouvez télécharger le PDF de la carte ici.

Les morts regardent le ciel (1ière partie sur 3)

Texte en trois parties

Lire :  la 1ière partiela 2ième partiela dernière partie

.

La calvitie d’Eugène se faufile entre les stèles des tombes à la recherche de mauvaises herbes à tirer du sol. Depuis quelques années, les seules personnes à qui j’adresse encore la parole sont des hommes comme lui, des hommes au dos en forme de parenthèse, des hommes bien plus âgés que moi. J’en peine sur le manche de mon balai et cela me ploie vers le sol glabre. Il serait temps que je change ma vie, que je ne me satisfasse plus des confidences trouées d’hommes trop vieux, ni de leurs encouragements mous. Avant qu’il ne soit trop tard, je devrais aller à la pêche ou taper dans un ballon avec des hommes de ma génération, des hommes qui se lèvent le matin pour toute la journée, des hommes qui portent des chaussures de sports.

Ma fille est morte. Ma femme aussi. Dans un bête accident de voiture. Tous les accidents sont bêtes. J’ai erré quelques années jusqu’à trouver ce travail qui me permet de vivre en leur compagnie. J’énumère les années sur les pierres tombales. Tant d’enfants, tant d’hommes, de femmes meurent jeunes. Personne n’en a conscience. Pour le découvrir, il faut parcourir les allées des cimetières, comme je le fais avec ma brouette, lire les noms et les dates gravés sur les pupitres de marbre posés sur ces corps morts trop tôt.

Cimetière de l'Île Verte, Grenoble - DR Lignesdevie

Cimetière de La Tronche près de Grenoble – DR www.lignesdevie.com

Cela me convient de pousser cette brouette, de ramasser les feuilles mortes, de repiquer dans leurs vases les queues en plastique des fleurs artificielles, de rapporter à l’entrée du cimetière le soir les petits arrosoirs vides oubliés près des tombes. Je suis comme ces autres jeunes hommes qui poussent des serpents de caddies sur les parkings des supermarchés, qui veillent à leur propreté et qui mesurent d’un œil désabusé les allées et venues des gens. Ici, l’affluence est bien moindre. À peine quelques vieilles et des couples dépareillés qui se tiennent par le coude, sans savoir lequel soutient l’autre. Parfois, un cortège se rend tête basse à une tombe fraîche. Je l’accompagne de loin. Je sais qu’ils vont jeter des pétales de fleurs faute de pouvoir y jeter autre chose. Je sais qu’ils s’en iront tordus, que quelques-uns d’entre eux resteront après, reviendront, mais pour ceux-ci, il sera trop tard, il sera trop tôt.

Je mouche le novembre de mon nez. Je n’aime plus les mouchoirs en papier, ils se jettent avec le chagrin, comme si l’on pouvait se débarrasser du passé dans une poubelle. Je remets mon mouchoir dans ma poche, là où je peux le sentir aller et venir contre ma chair. C’était un mouchoir de ma fille, la seule chose que j’aie conservée d’elle. Ce soir, je le laverai une fois de plus dans l’eau tiède d’une cuvette. Je sentirai mes glaires s’enrouler autour de mes doigts gourds, adhérer à ma peau calleuse et se coaguler comme des chevreaux effrayés serrés les uns contres les autres sous l’orage de mes souvenirs. Je ferai sécher le tissu humide sur le radiateur et le remettrai dans ma poche demain matin. Cette lessive quotidienne me fera du bien : c’est mon métier, entretenir les souvenirs les plus chers. C’est pour cela que l’on me paie. Pour me substituer aux gens. Pour qu’ils n’aient pas à venir entretenir leurs tombes. Pour qu’ils trouvent, quand ils viennent ici occasionnellement, des pierres lustrées et fleuries. Pour qu’ils puissent s’imaginer que tout est en ordre dans leur vie, puisque tout est propre ici, puisqu’ils paient pour cela.

Première partie de Les morts regardent le ciel, Lire la suite

Deux morts

Y aurait-il deux types de morts ?

« Un homme retrouvé chez lui deux ans après son décès », signale aujourd’hui Libé. Nouvelle plus marquante, déconcertante, choquante encore que celle de cette vieille dame retrouvée morte chez elle après quelques mois et pour qui j’avais écrit La méthode Lambert *.

Je suis tombé sur un site web sidérant en recherchant l’article relatant le décès de cette vieille dame. Sur ce site dont je ne donnerai pas l’adresse, les internautes peuvent pronostiquer la date de la mort d’une centaine de personnalités. Les trois décès les plus pronostiqués font l’objet d’un « Top 3 » sur la page d’accueil. Les gagnants sont récompensés par une effigie du disparu. Dans leurs crédits en pied de page, les auteurs anonymes de ce site revendiquent l’humour.

Voilà donc deux regards d’aujourd’hui sur la mort : oubli et, à l’autre extrême, souillure du regard des crétins.

(*) publiée chez αяf lors de notre "Vases communicants" d'octobre.

Vases communicants de Arf – Je ne saurais voir

« …pourquoi ne pas imaginer, le 1er vendredi de chaque mois, une sorte d’échange généralisé, chacun écrivant chez un autre ? Suis sûr qu’on y découvrirait des nouveaux sites… » . François Bon et Scriptopolis ont lancé l’idée. Aujourd’hui, Lignes de vie et Fut-il ou versa t’il dans la facilité ? s’invitent réciproquement.

Il est 9h30. Je suis quelque peu stressé ce matin. Je dois intervenir auprès des managers commerciaux pour leur exposer procédures et autres règles de gestion à adopter pour que nous puissions travailler ensemble dans les meilleures conditions. Je peaufine ma présentation « pauvre point » (Powerpoint pour les non-initiés) et je regarde, sceptique, par la fenêtre en doutant de l’intérêt de celle-ci. Je me ravise très vite en me disant qu’il n’est pas temps à faire de l’existentialisme de pacotille. Il faut que je sois convaincant, enthousiaste, professionnel et « corporate ».

J’insère ma clé USB, copie le document et me dirige prestement vers la salle de réunion. Là, m’attend la troupe complète affairée autour de la table du petit-déjeuner. Cafés, jus d’oranges, viennoiseries d’usage sont présentés, avec un goût improbable, sur une nappe blanche ornée d’une orchidée jaune. Je salue l’assemblée d’un geste papal. N’allez pas penser que je suis un goujat mais nos managers étant exclusivement des manageuses, vingt fois trois bises à 10h00 du matin s’est beaucoup trop pour moi, sauvage des Carpates !

Après quelques bavardages de circonstances sur le temps et sur le dernier éliminé de Koh Lanta, tout ce beau monde s’installe autour des tables positionnées en demi-cercle. Notre vénéré et honorable directeur commercial, coq dans sa basse-cour, prend la parole, présente les petites nouvelles et distille ses bons mots motivants dont il garde jalousement le secret de fabrication. L’ambiance est tendue comme à l’accoutumée et chacune d’elle, vamp exacerbée, s’attache à trouver l’anecdote qui va détendre l’atmosphère. Pendant ce temps, je règle le rétro-projecteur connecté au notebook de notre orateur. L’introduction terminée, la parole m’est donnée.

Tandis que j’endosse progressivement mon habit de gestionnaire dynamique et volubile, je scrute les regards enjôleurs qui parcourent mon corps de la tête au pied. Je sais bien, depuis le temps que je travaille dans des entreprises commerciales, la part de la séduction induite dans nos rapports professionnels ; mais lorsque j’y suis confronté de face comme aujourd’hui, je suis toujours sidéré par l’érotisation rapide des comportements. Solide comme un iceberg prêt à fondre, je débute ma présentation fastidieuse et déroule les « slides » avec dextérité. Mon intervention doit durer maximum une heure et nous avons déjà pris une demi-heure de retard. Je poursuis tout en pestant contre la montre qui va au moins tourner jusqu’à midi avant que je ne sois délivré de la basse-cour.

Le temps s’égrène et sous les tables, les jeux de jambes se font de plus en plus ostensibles. Ma présentation, de toute évidence, n’intéresse personne si ce n’est notre directeur commercial qui m’interrompt largement pour répéter « made in cadres » les mêmes choses que moi. Malgré mon self control légendaire, mes yeux se portent soudain sur un décolleté plongeant qui aurait pu passer inaperçu s’il n’avait pas été déposé généreusement sur la table. Un sourire m’échappe, m’écarte de mes paroles et étonnamment, capte l’assemblée. Ce rictus se propage rapidement et amène l’ensemble des regards à se porter sur les atouts mammaires de notre comparse. Les diapos se mélangent, le notebook ronronne et chauffe, les esprits aussi. Le ballet des longilignes jambes s’accélèrent, le pouls de notre patron également.

Mon professionnalisme jusqu’alors sans faille est maintenant quelque peu ébranlé. Afin de recouvrer ma prestance, je crois bon d’ironiser sur la stupéfiante découverte. Grand mal me fasse, tout le monde me suit et part dans des iconographies des plus graveleuses. « Au secours ! le poulailler s’enflamme ! ». Les détails de l’anatomie débordante de ces dames sont dévoilés ; chacune divulguant les surnoms de leurs attributs à l’assemblée médusée. La franche rigolade bat son plein et le coq, malgré sa gêne non feinte, semble prendre plaisir à satisfaire ce besoin de défoulement sexué. A ce moment là, tout part à vau-l’eau. Les rires fusent. Les interactions sont vives et l’ambiance à milles lieux des conventions de l’entreprise.

« Mademoiselle, cachez ces seins que je ne saurais voir ! ». La poitrine enfin remontée à des altitudes moins visibles, le calme revient peu à peu grâce à l‘intervention athlétique du « maître de cérémonie ». Les œillades coquines s’estompent, les sourires se figent et mon intervention se termine tant bien que mal.

Je repars avec dans l’esprit ces échanges que je ne peux détacher de leur contexte. La tension du résultat, la pression de la hiérarchie, le couperet du chiffre d’affaires mensuel sont autant de points qui amènent notre force commerciale à dériver vers ces sujets hormonaux. L’appétence de l’autre par sa plastique, son charme, sa sensualité reste le meilleur sas de décompression. Et dans ces instants oppressants, cette frivolité me rassure, m’anime, me stimule, et conforte mes pensées et ma foi en l’homo erectus.

Texte de αяf

Ce billet a été rédigé par αяf que je reçois aujourd’hui dans le cadre des vases communicants. Vous pouvez suivre ce chemin pour aller lire mon billet publié chez lui.

Les autres participants aux vases communicants  : (que les oubliés se manifestent)
Frédérique Martin
et Désordonnée
Anna de Sandre et Tor-ups
Tiers libre  et la vie dangereuse
A Chat perché et Mahigan Lepage
C’était demain et Petite racine
Les lignes du monde et Paumée
36 poses et Arnaud Maisetti