Du côté de chez Swann

C’est l’été, voici un billet paresseux autour d’un sublime extrait du début de la Recherche agrémenté d’un grand moment de la chanson playback française. Le petit Marcel vient à sa grande surprise d’obtenir bien plus que ce baiser de sa mère qui lui manque chaque soir, à la demande de son mari elle va dormir dans la chambre du « petit ».

Je restai sans oser faire un mouvement ; il était encore devant nous, grand, dans sa robe de nuit blanche sous le cachemire de l’Inde violet et rose qu’il nouait autour de sa tête depuis qu’il avait des névralgies, avec le geste d’Abraham dans la gravure d’après Benozzo Gozzoli que m’avait donnée M. Swann, disant à Sarah qu’elle a à se départir du côté d’Isaac. Il y a bien des années de cela.

Sur le plateau de l’émission de Maritie et Gilbert Carpentier, DAVE chante « Du côté de chez Swann » dans un décor hivernal, vêtu d’un pull-over et d’une écharpe. Des figurants-patineurs (à roulettes), pas très assurés, évoluent autour de lui.
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La muraille de l’escalier où je vis monter le reflet de sa bougie n’existe plus depuis longtemps. En moi aussi bien des choses ont été détruites que je croyais devoir durer toujours, et de nouvelles se sont édifiées donnant naissance à des peines et à des joies nouvelles que je n’aurais pu prévoir alors, de même que les anciennes me sont devenues difficiles à comprendre. Il y a bien longtemps aussi que mon père a cessé de pouvoir dire à maman : « Va avec le petit. » La possibilité de telles heures ne renaîtra jamais pour moi. Mais depuis peu de temps, je recommence à très bien percevoir si je prête l’oreille, les sanglots que j’eus la force de contenir devant mon père et qui n’éclatèrent que quand je me retrouvai seul avec maman. En réalité ils n’ont jamais cessé ; et c’est seulement parce que la vie se tait maintenant davantage autour de moi que je les entends de nouveau, comme ces cloches de couvents que couvrent si bien les bruits de la ville pendant le jour qu’on les croirait arrêtées mais qui se remettent à sonner dans le silence du soir.

À la recherche du temps perdu, Du côté de chez Swann, Marcel Proust — Numérisé à partir de l’édition Gallimard 1946-47 et mis en ligne par la Bibliothèque électronique du Québec, site de Jean-Yves Dupuis proposant des textes d’auteurs appartenant au domaine public, http://beq.ebooksgratuits.com/vents/proust.htm

Dave, Du côté de chez Swann, http://www.ina.fr/video/I04337338/dave-du-cote-de-chez-swann-video.html

 

Spoon river — Edgar Lee Masters

Spoon river, Edgar Lee Masters, éditions Champ libre, 1976,  édition américaine originale 1914

Où sont Elmer, Herman, Bert, Tom et Charley
le veule, le fortiche, le clown, le poivrot, le bagarreur ?
Tous, tous dorment sur la colline.

Ce sont cinq des 362 personnages de ce recueil, chacun héros d’un de ses 362 poèmes.

Doc Hill

À toute heure du jour et de la nuit
j’arpentais les rues, allant ici et là,
soignant les pauvres frappés par la maladie.
Savez-vous pourquoi ?
Ma femme me détestait, et mon fils allait à la dérive.
Je me suis donc tourné vers les gens, pour déverser mon amour.
Comme il m’était doux de voir les foules sur les pelouses le jour de mes funérailles,
et de les entendre murmurer leur amour et leur chagrin.
Mais, ô mon dieu, mon âme a tressailli, à peine capable de se tenir au bastingage de la nouvelle vie,
quand j’ai vu Em Stanton derrière le chêne
qui abrite ma tombe
se cachant, elle et sa peine !

Ils sont tous couchés dans le cimetière de la petite ville de Spoon River, au bord de la rivière du même nom. Tous ces récits s’entremêlent, ils se connaissaient tous peu ou prou, formant un réseau narratif d’une ampleur enthousiasmante.

Andy le veilleur de nuit

Avec mon manteau espagnol
mon vieux chapeau mou,
mes souliers enveloppés de feutre,
Tyke, mon chien fidèle
et mon bâton noueux de noyer blanc,
j’allais de porte en porte sur la place
muni de ma lampe-tempête.
Les étoiles de minuit tournoyaient dans le ciel,
la cloche de l’église tintait doucement au souffle du vent,
les pas fatigués du vieux Doc Hill
sonnaient comme ceux d’un noctambule,
et au loin un coq chantait.
À l’heure qu’il est, un autre veille sur Spoon River,
comme d’autres veillèrent avant moi.
Et nous voici, le vieux Doc Hill et moi,
là où personne ne cambriole
et où le veilleur est inutile.

Peu à peu, en lisant ces textes possédant chacun sa petite part de transcendance par dessus un bon vieux morceau d’humain, se reconstitue à la fois cette ville américaine début vingtième siècle avec son ambiance typique et les sentiments et passions liant chaque communauté d’êtres humains.

Sonia la Russe

Née à Weimar
d’une mère française
et d’un père allemand, savant, professeur,
orpheline à quatorze ans,
je suis devenue danseuse sous le nom de Sonia la Russe.
À Paris j’ai fait les Boulevards,
maîtresse d’une flopée de ducs et de comtes,
et plus tard de rapins et de poètes.
À quarante ans, finie, je me suis dirigée vers New-York.
Sur le bateau j’ai fait la connaissance du vieux Patrick Hummer,
plein de verdeur malgré sa soixantaine
qui s’en retournait chez lui après avoir vendu
un plein bateau de bétail dans la ville de Hambourg.
Il m’a amenée à Spoon River et nous avons vécu ici vingt ans — on nous croyait mariés !
Ce chêne près de moi est le rendez-vous favori
des geais qui babillent tout le long du jour.
Pourquoi pas ? Car ma poussière même rit
en pensant à cette affaire drôle qu’est la vie.

Son auteur Edgar Lee Masters quitte très vite le métier d’avocat imposé par sa famille pour rejoindre l’école réaliste américaine à Chicago : Hemingway, Upton Sinclair… Spoon River Anthology lui vaudra et lui vaut toujours la célébrité, ce recueil a été réédité moult fois aux Etats-Unis depuis sa parution en 1914.

Minerva Jones

J’étais Minerva Jones, la poétesse du village,
la risée des rustauds de la rue
à cause de mon corps lourdaud, de mon oeil qui louchait et de ma démarche dandinante. Mais ce fut bien pis encore quand «Butch» Weldy
m’eut prise à l’issue d’une chasse brutale.
Il m’a laissée à mon sort chez le docteur Meyers,
et j’ai sombré dans la mort, sentant le froid me gagner depuis les pieds,
comme quelqu’un qui avance pas à pas dans un ruisseau glacé.
Quelqu’un ira-t-il au journal du village
rassemble dans un livre les vers que j’écrivais ?
J’avais si soif d’amour !
J’avais si faim de vie !

En France, trois traductions ont été publiées, dont la première en 1976 par Michel Pétris et Kenneth White (souligne justement Francesco Pittau dans un commentaire sur Facebook). Les deux versions papier sont épuisées, on en trouve quelques exemplaires d’occasion à des prix inabordables.

Mais il faut surtout parler aujourd’hui du travail remarquable du collectif Général Instin publié sur le blogue AMBO(I)LATI de Benoît Vincent. Une publication ou republication papier serait très souhaitable, je fais ici un gros clin d’oeil à l’éditeur de la traduction française de W.S. Graham réalisée par  Anne-Sylvie Homassel et Blandine Longre, Black Herald Press.

Spoon River, Edgar Lee Masters - Critique, Philippe-Guilhon, Le Quotidien 1976

Lieux-dits dits

…, Le clos aux choux, Le champ de la planchette, Poirier bossu, Poirier crapaud, Rot, Le plat pays du nez, Pougemin, Le dessus du crochet, Les guerrières, Le champ fesse, ZAC du moulin Mayeux, La livonnerie, Les enfants perdus, Rentes de dessous, Les 18 jours, Le jardin des titres, Zone industrielle La roue, Les côtes de pipa, Rapine, La châtaigneraie d’ici, Vers les nez, Lotissement Le fief de la lande, Petits pots, Sainte Caroline, …

Bois Saint-Romain à Tavernay, Carte pour Lieux-dits dits
Bois Saint-Romain, Tavernay

…, Zone artisanale Les Prades, Le camp aux boeufs, Les quatre gendarmes, Ferme de Mariaville, La cantonnerie, Le champ d’Avaine, Les douze blancs, La plaine du buis, La carabine, Lang tal ty er golf, La ruine et la sable, Le champ de la truie, Monseigneur de Cambon, Zone commerciale Cap vert, Le fief bourceau, Terrier de chez Collardeau, Zone industrielle Cormelle, La roucole, Le pot Vailly, Le cerisier malin, Pièce au comte, Haye au cerisier, Le pont de planche, Le hameau garçonnet, Au dessus le bois de Tabar, Les bourgeries, Persivaux, De la loi, Le domaine veuf, Pouzoulou, Poil en coeur, Maroise, La pijolo, Le clos derrière la lande, Pré de la Trigale, Le bordel au nord, Le marais d’Artemps, Le grand mariage, Montée des iris, Malempan, Le porteur, Les cinq muids, Le champ Annette, Le genêt du chien, Le val de la sauce, Cite Eugène le Nouel, Anse du brick, Bois des oies, Pièces carrées, Têtes rondes, Le pré de derriere Tuboeuf, Le court partage, Suc de bouche, La connaissière, Mézaveau, Serre de bouc, Les glorieuses, Les seize denrées, Tafleur, Les gros yeux, Le Fau, Rouge bonnet, Sous le bois de fourches, Les friandises, Friche du bâtard, Le grand fruitier, Travers de gruat, Puits amer, La mirette, Les bois de rouge maison, Terres de lire, Champ garre, ZAC du Bayle, Les couisines, Pierre de lune, Le pré de la bande Mahieux, Le dévès de monsieur, Terres aux chats, Sigaredes, La queue Longe, La potion, Le chemin au mulet, Soltru, Les chasse rats, Pièce au pommier, Le fosse brocheton, Le clos capiton, Chenue, Champs de la plus belle, Tousogne, Les terres roubines, La timbale, Marguerite d’Angoulême, Les bas limons, Le bas singe, La route aux loups, Le bout du fossé Carizy, La présidente, Le fond de l’Asseverelle, Tournebride, Le laurier rose, Courtils du carouge, Au dessus de rechère, Val frais, La quille, Les nièces, Les avoineaux, Le champ des pigeons, Le pré cuillère, La loterie, Main de Dieu, Les Bois Saint-Romain, Basses cheminées, Poirier pendu, Pied du lait, La croute patrix, Le jardin de chasse, Les petites esablères, Pérotin, La mare pavée, Le buisson à la cordonnier, La graillère du milieu, Les barraquettes, La petite pouée, Pré de la fondation, La petite ortie, Le ventaire, Parc bouillonneuse, La houbette, L’échabot, Le champ au cuir, Petit gendre, Les petites mandies, Le bas du four à verres, La petite pièce à blanche, Marbousquet, Le chaud toupet, Le bien vivre, Les marteaux, Le buisson des chenues, Sensolugne, Le béton, Au soufflet, La poudreuse, Hors la ville, Le pré sirop, La turluzaine, La pitié, Terres de Lyon, Clôture du bois Lohin, La mauricaude, Taillis des gros, Les singerieux, Larinie, Les trois peupliers, Sous le rein de monfort, Salcisse, Roumeguette, Le doussin de fortuneau, Champs des seigneurs, Le coq gris, Les prés de la Guibelière, Près de chez Favre, La Hire, Pech counille, Sémaphore Pomegue, Puech generoux, Le petit clos a boeufs, Polder du grand Saint-André, Lande des groupes, Le bas des vignes blanches, Poil rouge, Pièce de devant la cour, Sapiniere de l’isard, La vergée mouillée, Pré de saint pardon, Mal pensée, Les choux verts, La pièce de l’hospice, Launelle, Le fond crocheteux, La pièce au gros, …

 

Lieux-dits dits est :

  • dédicacé à ma mère et mon père qui ont choisi Les Bois Saint-Romain (37e seconde) à Tavernay (1’07 ») pour y vivre et y travailler, Papa, Maman, je vous aime ;
  • un travail littéraire sur le « big » et l’« open data » — ces lieux-dits sont extraits de la base Fantoir des lieux-dits français (plusieurs centaines de milliers) accessible sur le portail des données publiques ouvertes françaises data.gouv.fr (une mine !) ;
  • un clin d’œil appuyé à Georges Didi-Huberman ;
  • un hommage à Aby Warburg dont le légendaire Atlas Mnémosyne a inspiré cette installation web.

À visiter à Paris, l’installation Georges Didi-Huberman et Arno Gisinger d’après cet Atlas Mnémosyne d’Aby Warburg du 14 février au 7 septembre 2014 au Palais de Tokyo.

Atlas Mnémosyne, Aby Warburg

Crédits

Création de Gilles Bertin sur une photo de Barbara Albeck et une proposition de Marianne Desroziers dans le cadre des Vases communicantsLieux-dits dits a été publié la première fois.

Voix : Florence Larisse et Gilles Bertin

Photos (respectivement temps en seconde à partir du début, attribution, type de licence et lien) :

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