Suivez les « 24 heures d’écriture » en direct sur le web

Voici les infos pour vous permettre de suivre l’écriture de nos 24 nouvelles en direct sur le web :

A partir de quand ?

  • Début : vendredi 11 juin à 19h
  • Fin : samedi 12 juin à 19h

Suivi sur mon site : https://www.lignesdevie.com

  • Pavé Twitter noir à droite sur l’écran qui affiche les messages postés sur Twitter par les participants et l’équipe (ça a commencé).
  • Je vous encourage à m’encourager pendant les 24 heures en m’envoyant des commentaires sur ce post ou les suivants (les heures les plus dures sont en fin de nuit).

Suivi sur le site officiel : http://www.24heuresdecriture.com/

  • Tous les quarts d’heure, affichage des 24 nouvelles « en l’état » d’écriture (si nous jouons bien le jeu d’écrire en direct dans le « back office » du site…) + profils des 24 participants.

Suivi dans le 11ième arrondissement de Paris :

  • 16 librairies et médiathèques du 11ième diffusent également l’événement.  Voir leur liste et la carte ici.

Un coup de chapeau à Fontaine ô livre, association de développement des métiers du livre du quartier de la Fontaine au roi, qui coordonne la manifestation. Et à l’agence littéraire Pierre Astier pour l’idée de ces 24 heures.

24 pour 24 heures d’écriture

Nous serons 24 auteurs non (encore) édités à compte d’éditeur. Nous aurons 24 heures pour écrire en direct une nouvelle. Le sujet nous sera donné au dernier moment.

La performance aura lieu du vendredi 11 juin à 20h au samedi 12 juin à 20h à Paris.

Nos ordinateurs seront branchés au net avec une webcam pour diffusion en temps réel dans 24 lieux du livre du 11e arrondissement parisien, des librairies et des médiathèques.

Un jury sélectionnera une nouvelle parmi les 24. Elle sera lue par des acteurs au 104, éditée  par un éditeur du 11e et diffusée dans les libraires parisiennes.

Je vous tiens au courant de la suite.

Rendez-vous sur le site 24heuresdecriture.com

Faut-il manger des sucres lents avant ?

La carpe

Ce poisson sans défense sait qu’il n’a que deux choix dans la vie : soit se faire oublier, soit se faire manger […]. Au mieux, il peut éviter d’avoir mal et c’est tout ce qu’il attend de la vie, ce qu’il considère comme le bonheur.

Citation extraite du blog de Argancel, « C’éclair ! L’efficacité au quotidien », http://blogasty.com/billet/366816…

Puisqu’elle [la carpe] est persuadée qu’elle ne peut pas gagner ou obtenir des résultats dans la vie qui sortent de la moyenne, elle aura tendance à ne pas tenter sa chance et à tout faire pour échouer rapidement […]

Citation extraite du blog de Olivier Leroux, coach, formateur et consultant senior, http://blog.olivierleroux.com/2009/12/…

La carpe est dégueulasse à manger, les enfants le savent. Elle est emplie d’arêtes fines, organisées en couches successives, croisées comme ces reprises que les vieilles font aux talons des chaussettes, courbées sous l’unique ampoule basse énergie de leur masure. Quand on croit avoir franchi leurs rangées de défense se succédant comme les palissades dans les dunes, quand on espère enfin laisser fondre la chair fine sous la voûte de son palais, alors une dernière esquille, fine et pointue comme un cheveu du diable si celui-ci n’était pas chauve comme une mirabelle, s’enfonce sous sa gencive.

Source: http://en.wikipedia.org/wiki/Image:Common_carp.jpg Common carp (Cyprinus carpio). Public domain image from USFWS National Image Library.
Source: http://en.wikipedia.org/wiki/Image:Common_carp.jpg

Si la carpe est aussi dégueulasse, c’est aussi à cause de son goût prononcé de vase, comme certains whiskies tourbés d’Irlande. Seuls les gens de pays d’eaux sombres, écrirait Philippe Claudel, aiment la carpe, dans les Dombes, en Sologne ou dans le quartier du Sentier, à Paris, où arrive chaque mercredi du Loiret ou de Belgique un camion aux citernes emplies de carpes. Le marchand les pèse à même la chaussée, sur une balance autour de laquelle ça discute ferme, les carpes d’un noir mouillé de gouache  fraîche tressautant dans leurs baquets. Dans les régions d’étangs,  ce sont des opérations clandestines en fin de nuit. Quand le jour se lève, restent sur la boue, se débattant dans les poches d’eau, des poissons gigantesques, aux flancs tressés comme des cotes de mailles. Les bouseux, bressans ou solognots taciturnes, les ramassent dans des paniers en osiers tressés à la veillée devant leur télévision, pour  les porter jusqu’à la digue où attendent les gens du voisinage, avec leurs billets de cinq et leur mitraille de centimes d’euros, gens d’en bas qui repartent heureux comme des papes, les carpes gigotant sur la banquette arrière de leurs breaks.

Avant, j’étais comme un poisson carnassier là, les dents longues, pointues, l’écaille dure, je remontais le courant, tu vois, toujours entre deux eaux, […]. Je savais nager dans le milieu, dans le plein milieu, je savais trancher, fendre, foutre, je fendais, tu vois, un carnassier, je choppais les petits poissons, d’un coup de dent, d’un coup de mâchoire, tchac !

Xavier Durringer, Chroniques des jours entiers, des nuits entières, éd. Théâtrales

Pépé ronflait sur son pliant, son ventre posé ses cuisses comme un de ces poufs mous emplis de billes. Ça ne mordait qu’à ces moments-là, alors qu’il venait juste de s’endormir. Nous le secouions. Hein, disait-il en secouant sa vieille calebasse comme une porte montée sur des gonds à ressorts, qu’est-ce qu’il y a ? Ce qu’il y avait pesait deux ou trois livres et venait de gober l’un des ces vers musculeux, rouge sang, annelés comme des tuyaux d’arrosages, qu’il nous avait envoyés récolter dans le tas de fumier. Pépé mettait du temps à ramener le poisson. Il avançait avec ses cuissardes au milieu des touffes de jonc pour que la carpe ne s’y réfugie pas. Il moulinait, gaule horizontale, parallèle à l’eau. Enfin, d’une main tremblante d’un début de Parkinson dû à l’excès de vin blanc au frais dans sa bourriche, il la soulevait et essayait de l’amener dans le filet de l’épuisette. Il traînait le poisson sur l’herbe du pré, le plaquait sous son pied, lui enfilait ses doigts dans les ouïes et lui arrachait systématiquement un morceau de la gueule en retirant l’hameçon.

– Une fois, quand j’étais à l’école, une psychologue m’a demandé de venir dans son bureau. […] « Quels rêves faites-vous ? » elle m’a demandé. « Qu’est-ce que vous vous voyez faire d’ici dix ans ? Vingt ans ? » […] Je ne savais pas quoi répondre. Je suis restée muette comme une carpe. […] Maintenant, si quelqu’un me reposait cette question, sur mes rêves et tout ça, je lui dirais. […]
– Les rêves, vous savez, on s’en réveille. Voilà ce que je dirais.

Raymond Carver, in La bride, recueil Les vitamines du bonheur, traduction Simone Hilling, éd. Stock

Quelques réflexions sur la peinture, Lucian Freud

Cinq pages ! Ce sera le plus petit livre de cette série « Petit mais costaud » ! Mais cinq pages qui dépassent le cadre de la peinture. Qui concernent aussi l’écriture de nouvelles. Bien que Lucian Freud affirme — à tort, à mon avis — que :

[…] la peinture est le seul art où les qualités intuitives de l’artiste peuvent être plus précieuses pour lui que le savoir ou l’intelligence proprement dits.

Lucian Freud a trente-quatre ans quand il écrit, en 1954, ces cinq pages pour la revue littéraire et artistique Encounter. C’est la définition de la peinture qu’il veut créer. Témoins les quatre oeuvres dessinées de sa main à la même époque et incluses dans ce livre édité par le Centre Pompidou à l’occasion de l’expo qu’il lui consacre du 10 mars au 19 juillet. Pour moi, cette définition s’applique aussi à la nouvelle :

Celui qui regarde le tableau prend connaissance d’un secret grâce à l’intensité avec laquelle il est ressenti.

Ce secret, Freud va le trouver dans l’observation assidue de son sujet. Ce n’est pas pour rien si l’expo que lui consacre le Centre Pompidou est intitulée L’Atelier. Car c’est dans son atelier et uniquement dans son atelier que Freud se consacre entièrement à son sujet, créant une peinture totalement figurative, à l’encontre de l’abstrait qui domine alors :

L’obsession pour son sujet, c’est tout ce dont le peintre a besoin pour être poussé au travail. […] Les peintres qui refusent de représenter la vie et limitent leur langage à des formes purement abstraites se privent de la possibilité de susciter autre chose qu’une émotion esthétique.

Le résultat de ces réflexions de 1954 (Lucian Freud a aujourd’hui 88 ans) est visible dans cette expo sous forme d’une cinquantaine de toiles de grands, voire de très grands formats.

Lucian Freud peint des beaux, des gros, des maigres, des moches, des tas d’ordures, des éviers dégueulasses, des plantes vertes. Surtout, il peint des nus. C’est-à-dire des chairs :

L’aura émise par une personne ou un objet leur appartiennent tout autant que leur chair.

Philippe Dagen, dans Le Monde, repris par d’autres critiques, considère Freud comme un peintre « académique de l’obscène » :

Mais non, ce n’est pas de la grande peinture. Ce n’en est que le simulacre, fondé sur l’académisation conjointe de l’obscénité et du matiérisme. (l’article est en ligne sur le blog Madinin’Art de Ph. Dagen)

Oeuvre de Jean Rustin
Oeuvre de Jean Rustin

Si cette peinture semble obscène à certains, c’est parce que la façon frontale dont elle prend ses sujets est dérangeante. Sa fixité laisse pantois, face à des êtres nus. J’ai pensé à Jean Rustin, qui lui va bien plus loin dans l’obscène en représentant des êtres enfermés dans la détresse et la folie. Ou a un de leur pendant littéraire, Hubert Selby. Pourtant, l’oeuvre de Lucian Freud n’est obscène que lorsque cela est nécessaire, commandé par le sujet. Nombreuses  sont  ses toiles  qui donnent accès à d’autres facettes plus consensuelles de l’humain. Celles représentant plusieurs personnages – couples d’amants, père/fils – ramènent au genre de la nouvelle à travers l’histoire qu’elles content indirectement. Et la force de la peinture selon Freud et celle de la nouvelle se ressemblent dans l’uppercut qu’elles donnent à leurs spectateurs/lecteurs.

Il (le roman) ne subit d’autres inconvénients et ne connaît d’autres dangers que son infinie liberté. La nouvelle, plus resserrée, plus condensée, jouit des bénéfices éternels de la contrainte : son effet est plus intense; et comme le temps consacré à la lecture d’une nouvelle est bien moindre que celui nécessaire à la digestion d’un roman, rien ne se perd de la totalité de l’effet. (Baudelaire dans L’Art romantique)

Le Centre Pompidou, l’éditeur, a fait de ces 5 pages d’interview un livre de 40 pages en y ajoutant une postface de Cécile Debray, les traductions en anglais et quatre dessins de Lucian Freud.

Quelques réflexions sur la peinture, Lucian Freud, éd. Centre Pompidou, 10 euros, 40 pages

Exposition Lucian Freud – L’atelier, Centre Pompidou – Paris, 10 mars au 19 juillet 2010 de 11h00 à 21h00

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Racines

Prendre un panier, un couteau pointu, enfiler des bottes et descendre dans le pré le plus proche. Si citadin, se munir d’un livre, de deux tickets de bus, l’aller le retour, choisir n’importe quelle ligne qui s’éloigne au maximum de la ville et, au terminus, marcher vers le pré précité. Si parisien, joker.

Le choisir ni en bouton, ni – encore moins – en fleur. D’un mouvement tournant de la pointe du couteau, couper sa racine à raz-de-terre. En emplir son panier. Marcher dans la terre, dans l’herbe, patauger dans le ruisseau s’il y en a un, mettre sa capuche si le ciel (comme il est dans l’ordre de mars) fait son écossais.

Acheter des oeufs sur le chemin du retour. Où ? N’importe ! pourvu qu’ils aient un peu de duvet à la coquille, comme un  visage d’adolescent, ou des traces de crotte. Demander au boucher de débiter deux ou trois bardes de lard salé en dés en discutant avec lui du contenu du panier ou – si giboulées – de ces giboulées pendant que la lame de son couteau tranche la couenne comme beurre. Dans une boulangerie dépourvue de portes automatiques, et là seulement, demander une couronne ou un bâtard.  De quatre livres !

Descendre à la cave en rentrant. Choisir un petit Bourgogne de deux ou trois ans, Passe-tout-grains ou Pinot noir. Sinon un Côte Roannaise, un Anjou, ou encore un vin d’Auvergne, ça existe, oui ! Mettre les oeufs à cuire au dur en arrivant à la cuisine. Déboucher la bouteille, se verser un demi ballon, goûter la chose.

Vider le panier dans le bac de l’évier. Ôter les feuilles pourries. Couper les pieds. Laver à deux eaux. Trois si on craint les bêtes qui vont par les prés et se lâchent n’importe où. Une fois rincé et essoré, le sécher dans un torchon. Pendant que les lardons grillent dans la poêle (en fonte !), brasser une vinaigrette : deux tiers huile, un tiers vinaigre de vin, gros sel, poivre, moutarde de Dijon.

Retourner les lardons et, à chaque fois, se saucer la ruelle d’une giclée de vin. Il s’est déjà adouci, il  a perdu de son acidité. Passer les oeufs sous l’eau froide et les laisser sous un filet d’eau coulant dans la casserole. Pendant ce temps, aller au fond du ballon en regardant dehors : les gens, les nuages, un chat. Ne penser à rien.

Sortir une assiette, une large – c’est pour en manger plus -, l’étaler dessus. Verser la vinaigrette. Les lardons. Ecoquiller les oeufs et les émincer dessus. Couper une large tranche dans le bâtard. S’asseoir. Empoigner couteau et fourchette. Manger.

Faites cela au moins une fois. Avant la blistérisation globale. La normalisation des prairies. Avant votre propre fin. Luttez avec des missiles à courte portée : un panier, un couteau, une poêle à frire. Mangez du pissenlit.