Sleeping by the Lion Carpet, 1995-1996, Huile sur toile, 228,6 x 121,3 cm, Collection Lewis © John Riddy © Lucian Freud

Quelques réflexions sur la peinture, Lucian Freud

Cinq pages ! Ce sera le plus petit livre de cette série « Petit mais costaud » ! Mais cinq pages qui dépassent le cadre de la peinture. Qui concernent aussi l’écriture de nouvelles. Bien que Lucian Freud affirme — à tort, à mon avis — que :

[…] la peinture est le seul art où les qualités intuitives de l’artiste peuvent être plus précieuses pour lui que le savoir ou l’intelligence proprement dits.

Lucian Freud a trente-quatre ans quand il écrit, en 1954, ces cinq pages pour la revue littéraire et artistique Encounter. C’est la définition de la peinture qu’il veut créer. Témoins les quatre oeuvres dessinées de sa main à la même époque et incluses dans ce livre édité par le Centre Pompidou à l’occasion de l’expo qu’il lui consacre du 10 mars au 19 juillet. Pour moi, cette définition s’applique aussi à la nouvelle :

Celui qui regarde le tableau prend connaissance d’un secret grâce à l’intensité avec laquelle il est ressenti.

Ce secret, Freud va le trouver dans l’observation assidue de son sujet. Ce n’est pas pour rien si l’expo que lui consacre le Centre Pompidou est intitulée L’Atelier. Car c’est dans son atelier et uniquement dans son atelier que Freud se consacre entièrement à son sujet, créant une peinture totalement figurative, à l’encontre de l’abstrait qui domine alors :

L’obsession pour son sujet, c’est tout ce dont le peintre a besoin pour être poussé au travail. […] Les peintres qui refusent de représenter la vie et limitent leur langage à des formes purement abstraites se privent de la possibilité de susciter autre chose qu’une émotion esthétique.

Le résultat de ces réflexions de 1954 (Lucian Freud a aujourd’hui 88 ans) est visible dans cette expo sous forme d’une cinquantaine de toiles de grands, voire de très grands formats.

Lucian Freud peint des beaux, des gros, des maigres, des moches, des tas d’ordures, des éviers dégueulasses, des plantes vertes. Surtout, il peint des nus. C’est-à-dire des chairs :

L’aura émise par une personne ou un objet leur appartiennent tout autant que leur chair.

Philippe Dagen, dans Le Monde, repris par d’autres critiques, considère Freud comme un peintre « académique de l’obscène » :

Mais non, ce n’est pas de la grande peinture. Ce n’en est que le simulacre, fondé sur l’académisation conjointe de l’obscénité et du matiérisme. (l’article est en ligne sur le blog Madinin’Art de Ph. Dagen)

Oeuvre de Jean Rustin
Oeuvre de Jean Rustin

Si cette peinture semble obscène à certains, c’est parce que la façon frontale dont elle prend ses sujets est dérangeante. Sa fixité laisse pantois, face à des êtres nus. J’ai pensé à Jean Rustin, qui lui va bien plus loin dans l’obscène en représentant des êtres enfermés dans la détresse et la folie. Ou a un de leur pendant littéraire, Hubert Selby. Pourtant, l’oeuvre de Lucian Freud n’est obscène que lorsque cela est nécessaire, commandé par le sujet. Nombreuses  sont  ses toiles  qui donnent accès à d’autres facettes plus consensuelles de l’humain. Celles représentant plusieurs personnages – couples d’amants, père/fils – ramènent au genre de la nouvelle à travers l’histoire qu’elles content indirectement. Et la force de la peinture selon Freud et celle de la nouvelle se ressemblent dans l’uppercut qu’elles donnent à leurs spectateurs/lecteurs.

Il (le roman) ne subit d’autres inconvénients et ne connaît d’autres dangers que son infinie liberté. La nouvelle, plus resserrée, plus condensée, jouit des bénéfices éternels de la contrainte : son effet est plus intense; et comme le temps consacré à la lecture d’une nouvelle est bien moindre que celui nécessaire à la digestion d’un roman, rien ne se perd de la totalité de l’effet. (Baudelaire dans L’Art romantique)

Le Centre Pompidou, l’éditeur, a fait de ces 5 pages d’interview un livre de 40 pages en y ajoutant une postface de Cécile Debray, les traductions en anglais et quatre dessins de Lucian Freud.

Quelques réflexions sur la peinture, Lucian Freud, éd. Centre Pompidou, 10 euros, 40 pages

Exposition Lucian Freud – L’atelier, Centre Pompidou – Paris, 10 mars au 19 juillet 2010 de 11h00 à 21h00

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Publié par

Gilles Bertin

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8 réflexions au sujet de « Quelques réflexions sur la peinture, Lucian Freud »

  1. Chez Rustin l’humanité transpire partout. Les personnages de Freud n’en ont pas trace et sont dépourvus d' »intention ». N’en ont même jamais eu; l’intention c’est l’envie, la vie. Et c’est là que je trouve sa peinture obscène. Dans cette mort à la vie.

  2. Vrai ! Toutefois (et je suis peut-être un des rares !) je parviens malgré l’autisme de cette peinture (mais quelle peinture du corps !) à ressentir et à deviner derrière ces êtres une histoire. Témoin cette toile :

    Two Irishmen in W11
    Two Irishmen in W11, 1984-1985
    Collection particulière,© John Riddy © Lucian Freud

  3. De la vraie peinture!. voilà ce que j’éprouve. Ses représentations picturales auront été toute sa vie et toute sa vie est dans son oeuvre!!.il est vrai que cela choque,parfois; l’art n’est pas fait pour rassurer!.Son travail est fort et unique et il restera majeur.Apprendre à REGARDER et comprendre que peindre c’est utiliser la matière à sa façon et comme on le fait depuis de nombreux siècles,démontrer que l’être humain tout entier est engagé dans l’oeuvre.A force de vouloir croire que l’on peut tout faire,grace aux téchniques modernes et informatisées(je nai vraiment rien contre), l’homme disparait peu à peu dans le néant.Bonne Année à vous et à bientôt pour défendre la peinture.

  4. Oui Josh, « démontrer que l’être humain tout entier est engagé dans l’oeuvre ». D’ailleurs, oeuvre vient du latin « opera » : travail.

  5. Peu importe le sujet, dans la vraie peinture, contrairement à Lucian Freud, je pense que l’acte de peindre prime sur le sujet et justement à la manière d’un cours académique où l’on commence par les modèles standards, le sujet est simplement le déclencheur, le début d’une création sans fin. Sans fin, car une oeuvre n’est jamais finie, sans fin aussi car il n’y a aucune raison sensée à faire des oeuvres d’art.
    Ce que dit Lucian Freud sur sa peinture, n’altère en rien la puissance de son travail.

    « Un critique a écrit que mes tableaux n’avaient ni commencement ni fin. Il ne l’entendait pas comme un compliment, or c’en était un. C’était même un beau compliment. Seulement il ne le savait pas ». Jackson Pollock

  6. Oui, cela n’a jamais de fin par contre, qu’il n’y ait pas de raison sensée à l’art me questionne. Pas de raison, oui. Mais pas de raison sensée, j’en suis moins persuadé. Il me semble que l’expression d’un regard singulier en est une, cette singularité est l’expression de la vie. Un regard.

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