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Où allions-nous donc quand nous entrions là ?
nous étions enfants et ne comprenions rien à çà :
l’argent !
Une immense pièce coupée par un long comptoir
derrière
écrivant
des costumes cravate à des bureaux
comment faisaient-ils donc toute l’année ici ?
L’un d’eux se levait
jamais le même
tendait la main à papa par-dessus le comptoir
ils se parlaient
papa signait des papiers
allait devant la vitre CAISSE
un autre cravate lui comptait des billets à travers la lucarne.
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Une fois la porte du fond s’est ouverte
un homme en costume de marié a fait entrer papa
sur sa porte :
MONSIEUR LE DIRECTEUR
nous avons attendu
des gens entraient signaient repartaient avec des billets
papa est ressorti
l’homme en marié l’accompagnait
il nous a jeté un sourire à dix francs
a actionné le bras de papa comme un levier de pompe
se sont rien dit
nous nous sommes retrouvés dehors
dans le soleil sur la place centrale
entre les boutiques les troquets les gens et leurs cabas
Quel salaud a dit papa.
Gilles Bertin
Ce texte est à lire avec Dix mille francs publié ici en janvier 2010 et écrit il y a bien plus longtemps :
Je suis la paille au cul des vaches : trois dents noires m’ont arrachée à la botte serrée, m’ont secouée au long de la rigole rectangulaire où, tapies, les raclettes de la chaîne de curage attendent de pousser devant elles bouse et pisse…
Avec « nous nous sommes retrouvés dehors », la vie revient avec son jus. Parce que l’oppression des Playmobil hein !
J’aime bien ça Gilles, et notamment les quatre dernière phrases. De nouvelles explorations ?
@kouki : Playmobil… bien vu de ta part ! J’ai commencé à lire « Eloge du risque » d’Anne Dufourmantelle, elle écrit : « Jamais la servitude n’aura été si volontaire. »
@Frédérique : Plutôt de nouveaux accès jusque là seulement entrebaillés.
La dette…
Celle, symbolique, c’est à dire due aux générations qui nous suivent, de ceux qui ont bataillé pour nous ; nous nourrir ; nous élever ; nous donner les chances d’une vie meilleure…
« Gagner plus », « Argent facile » (sur fond d’argent manquant, of course)et ces figures, ancrées en soi, de ceux qui ont bataillé pour que nous ayons les moyens de dire : « l’argent ne fait pas tout! »
Bravo à ce « papa ».
Marie
@Marie : je n’avais jamais envisagé que la dette puisse passer par dessus moi entre mes parents et mes enfants… et au fond c’est aussi à cela que chacun de nous oeuvre, c’est ce que tu me dis ici.
Gilles,
Elle ne passe pas « par dessus » toi, elle passe PAR toi, et chacun d’entre nous…
Arg… bien vu !
Excellente chute, si poignante et mystérieuse pour des enfants…
Quel étrange monde que celui des adultes, qui s’échinent tant à gommer le soleil et les parfums quand ils ne peuvent pas les mettre en bouteilles pour les vendre.
Céline disait : « On ne meurt pas de dettes. On meurt de ne plus pouvoir en faire. »
Je n’aime pas du tout Céline, mais j’aime encore moins l’idée de ne plus me sentir en « dette » envers personne…
@Marie : « Etre en dette »….. je me souviens d’un moment dans ma vie où j’ai découvert que quelques personnes m’avaient beaucoup donné, certaines ne sont plus là, d’autres encore. Quand je pense à elles, c’est comme de regarder l’horizon au lever ou au coucher du soleil.
Lever ou coucher?… Qu’en dis-tu?
Bien vu, ce texte !
Quand j’étais môme, je trouvais bizares ces gens qui se plaignaient que la vie augmente…
Je me susi promenée dans ces pages, j’ai bien aimé le point de vue, j’y reviendrai !
Amicalement
Coline