Vases communicants avec Brigitte Célérier

Suis fier ce mois d’échanger avec la relieuse des vases communicants sur nos blogs http://brigetoun.blogspot.com et https://www.lignesdevie.com/

Un texte

de Brigitte Célérier

Dans le café sur la place, il y avait une jeune femme.

Elle était entrée, avait dit bonjour, n’avait pas eu de réponse – le cafetier était en discussion avec ses habitués – elle s’était assise à une table, près d’une fenêtre, un peu en retrait, sur la gauche. De là elle voyait l’esplanade, le parking devant l’église, un bout du marché.

Dans le café sur la place, la jeune femme regardait, ses mains relevaient le col de son manteau sur son cou, elle avait un blanc visage immobile.

L’esplanade devant l’église brillait d’un soleil froid. Le parking était plein, de voitures et de leurs occupants, qui restaient là, en petits groupes, qui semblaient attendre, et, près des marches du porche, une femme et deux jeunes-filles, un garçon, serrés, comme pour tenir les uns par les autres – de temps en temps les nouveaux arrivés venaient à eux, les embrassaient, et le garçon parlait.

Dans le café sur la place, la jeune femme avait commandé un chocolat, elle tenait la tasse dans ses mains, elle regardait.

Elle regardait une des jeunes filles, une petite brune, ratatinée dans son imperméable violet sombre. Elle tendait le visage, pour essayer de la mieux voir. Et puis, comme le silence s’était fait dans le café, elle s’est retournée, a vu leurs yeux sur elle, ou la fenêtre, et s’est redressée. Elle a ouvert son sac. Elle a sorti une lettre. Elle lisait, relisait sans doute. Il lui parlait de la petite brune, sa seconde fille, celle qu’il appelait son amie, il écrivait « tu verras, je suis certain que, toutes les deux, vous… ».

Il y a eu du mouvement sur la place. Elle a levé la tête, en pliant la lettre.

Dans le café sur la place, la jeune femme regardait. Elle a levé la tasse devant son visage, a bu, s’est étranglée un peu. Elle l’a reposée, a baissé les yeux sur ses mains, a joué avec une bague, l’a enlevée, rangée dans son sac, dans la poche à fermeture éclair.

Un fourgon est arrivé. Avec une ébauche de garde-à-vous, les gens se sont un peu écartés, figés. Et des hommes en noir ont sorti un cercueil, l’ont porté dans l’église. La femme a suivi, avec les jeunes filles et le garçon, et puis tous les autres.

Dans le café sur la place la jeune femme regardait ses mains, la table. Elle a murmuré « quelle idiote ! »

Les hommes en noir ont déchargé des couronnes, des bouquets. Il y en avait beaucoup. Cela a fait un petit va et vient entre le fourgon et l’église.

Dans le café sur la place, les conversations ont repris, le patron et l’un des vieux ont dit le nom de l’homme qui était dans le cercueil, et puis un peu de bien – il était connu, c’était un notable –, il y a eu une ou deux phrases discordantes ou ironiques, ils ont changé de sujet. La jeune femme regardait les réclames sur le mur, près de la porte. Elle leur tournait le dos. Elle avait les mains entrelacées, jointures blanches, sur ses genoux.

Le chauffeur, et les porteurs, sont sortis de l’église, ils attendaient, battaient la semelle, certains fumaient.

Vases communicants avec Brigitte CélérierDans le café, la jeune femme a pris un paquet dans son sac, un briquet, s’est souvenue que non, plus maintenant, s’est levée. Sur le trottoir – la rue entre elle, les voitures, le fourgon et puis, plus loin, le marché où les commerçants commençaient à ranger leurs étals – elle a sorti un cigarillo, l’a allumé, visage dans le vide. Elle a frissonné. Une nausée : chocolat, froid, tabac, autre chose. Elle est rentrée, raide, a cherché des yeux l’écriteau, est partie, titubant un peu, vers les toilettes. Elle s’est offert une destruction désespérée, véhémente, un anéantissement bref et total, le vide.

Sur la place un homme est sorti de l’église, portant un bébé qui criait. Puis une femme, la mère peut-être, et deux ou trois garçons qui se sont immédiatement mis à fumer. Ils parlaient. Ils attendaient.

Dans la salle le patron a vu la jeune femme revenir, pas ferme, bouche rouge, visage creux. Il lui a demandé si ça allait. Elle a eu un recul, puis un sourire, a répondu « oui, merci », a demandé confirmation de l’horaire du prochain car pour la ville, et puis ce qu’elle devait, a payé, a dit « merci, au revoir », et ils l’ont saluée par un bourdonnement bienveillant.

Sur la place, le fourgon, lentement, attaquait la petite côte vers le cimetière et les gens s’ébranlaient, le petit groupe toujours bien serré en tête, les autres dans le désordre des conversations. La jeune femme, sans regarder, est descendue vers l’abri, au bord de la route.

Brigitte Célérier

Mon texte est chez Brigitte Célérier : http://brigetoun.blogspot.com

Les vases communicants de décembre :

  1. Daniel Bourrion http://www.face-terres.fr/ et Urbain trop urbain http://www.urbain-trop-urbain.fr/
  2. François Bon http://www.tierslivre.net et Michel Volkovitch http://www.volkovitch.com/
  3. Christine Jeanney et Kouki Rossi http://koukistories.blogspot.com/ http://tentatives.eklablog.fr/ce-qu-ils-disent-c138976
  4. Anthony Poiraudeau http://futilesetgraves.blogspot.com/ et Clara Lamireau http://runningnewb.wordpress.com/
  5. Samuel Dixneuf-Mocozet http://samdixneuf.wordpress.com/ et Jérémie Szpirzglas http://www.inacheve.net/
  6. Pierre Ménard http://www.liminaire.fr/ et Christophe Grossi http://kwakizbak.over-blog.com/
  7. Michel Brosseau http://www.àchatperché.net et Jean Prod’hom http://www.lesmarges.net/
  8. Lambert Savigneux http://aloredelam.com/ et Silence http://flaneriequotidienne.wordpress.com
  9. Olivier Guéry http://soubresauts.net/drupal/ et Joachim Séné http://joachimsene.fr/txt/
  10. Maryse Hache http://semenoir.typepad.fr/ et Cécile Portier http://petiteracine.over-blog.com/
  11. Anita Navarrete Berbel http://sauvageana.blogspot.com/ et Landry Jutier http://landryjutier.wordpress.com/
  12. Anne Savelli http://www.fenetresopenspace.blogspot.com/ et Piero Cohen-Hadria http://www.pendantleweekend.net/
  13. Feuilly http://feuilly.hautetfort.com/ et Bertrand Redonnet http://lexildesmots.hautetfort.com
  14. Arnaud Maïsetti http://www.arnaudmaisetti.net/spip et KMS http://kmskma.free.fr/
  15. Starsky http://www.starsky.fr/ et Random Songs http://randomsongs.org/
  16. Laure Morali http://lauremorali.blogspot.com/ et Michèle Dujardin http://abadon.fr/
  17. Florence Trocmé http://poezibao.typepad.com/ / et Laurent Margantin http://www.oeuvresouvertes.net/
  18. Isabelle Buterlin http://yzabel2046.blogspot.com/ et Jean Yves Fick http://jeanyvesfick.wordpress.com/
  19. Barbara Albeck http://barbara-albeck.over-blog.com/ et Jean http://souriredureste.blogspot.com/
  20. Kathie Durand http://www.minetteaferraille.net/ et Nolwenn Euzen http://nolwenn.euzen.over-blog.com/
  21. Juliette Mezenc http://www.motmaquis.net/ et Loran Bart http://noteseparses.wordpress.com/
  22. Shot by both sides http://www.shotbybothsides.org/ et Playlist Society http://www.playlistsociety.fr/
  23. Gilles Bertin https://www.lignesdevie.com/ et Brigitte Célérier http://brigetoun.blogspot.com

Publié par

Gilles Bertin

Voir page A propos

9 réflexions au sujet de « Vases communicants avec Brigitte Célérier »

  1. grand merci d’avoir magnifié la chose. Le vôtre paraît dans quelques minutes, ç peu près correctement traité j’espère

  2. passage de « L’enterrement » de françois bon, lu il y a quelques heures : « Un grand dans la soixantaine, bon teint et rosette, qui raconte sa journée : cet enterrement et puis un autre, vers Angles sur les deux heures (le Père Gorin tu l’as connu fin naturelle belle mort chez lui dans son lit c’est-y pas beau) et devrait rajouter sur le tard le vin d’honneur d’un mariage à Grues, n’aurait même pas le temps de repasser chez lui se changer, montrant cachée dans le complet une petite pochette de soie toute gaie : Tu soulèves, mariage, t’enfonces, deuil (Enfin vaut mieux les marier que les enterrer, répondait l’autre)

    je voulais le mettre sur mon site mais je me dis qu’il sera aussi bien ici, en regard de ton texte

    merci

  3. Une chorégraphie belle, filmique, Kouki a raison, singulière, et qui laisse la place aux questions, hypothèses et transferts

  4. passage de « L’enterrement » de françois bon, lu il y a quelques heures : « Un grand dans la soixantaine, bon teint et rosette, qui raconte sa journée : cet enterrement et puis un autre, vers Angles sur les deux heures (le Père Gorin tu l’as connu fin naturelle belle mort chez lui dans son lit c’est-y pas beau) et devrait rajouter sur le tard le vin d’honneur d’un mariage à Grues, n’aurait même pas le temps de repasser chez lui se changer, montrant cachée dans le complet une petite pochette de soie toute gaie : Tu soulèves, mariage, t’enfonces, deuil (Enfin vaut mieux les marier que les enterrer, répondait l’autre) je voulais le mettre sur mon site mais je me dis qu’il sera aussi bien ici, en regard de ton texte merci

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.