Vin nouveau

La bouche paisible. Passer la langue dans le creux de ses joues. Lécher son palais. Ne savoir qu’en dire. Chercher. Attendre le mot, l’image qui permettra d’en parler avec assez de précision. Décider de se taire faute de savoir l’évoquer. Ecouter les autres rire, s’exclamer, le tintement de leurs verres. Être heureux d’être là. Laisser retomber dans sa bouche le lin de ce drap qui dans ses plis a l’odeur du séchage. Entrer dans le frais de ce lit refait.

Pluie d’été. Saveurs liquides. Lourdeurs des pétales détrempés. L’eau perle et coule le long de la tige, la fleur se redresse, s’ouvre, s’épanouit. Ampleur ronde dans les joues, le palais, autour de la langue. C’est une pivoine.

On se gausse, on vilipende son âpreté de toile émeri. Il s’en contrefiche, il est. Nul besoin d’adoubement pour exister.

Légèreté de la sciure sous les pas des chevaux. Fraîcheur tranquille du matin quand le corps vierge cueille chaque sensation.

Premier bain de l’année dans la rivière.

Première bouchée de vin nouveau.

Alleluia.

village-bourgognePhoto Lignes de vie

Lyon, cette ville que l’on dit prude comme un jeune curé, n’a hors des matchs de l’Olympique Lyonnais et de sa nuit du 8 décembre d’autre fête que ce troisième jeudi de novembre, lorsque coule le vin nouveau entre ses cuisses.

Chargée de barriques, une péniche descend la Saône depuis Villefranche, traverse Neuville, les Monts d’Or, passe aux pieds de Bocuse et, à l’Île Barbe, entre dans Lyon où, quai de Tilsit, l’attend un orchestre de jazz. Les vigoureux vignerons venus de Lucenay, Saint-Amour, Juliénas, Brouilly, Régnié, Saint-Lager, Morgon roulent les tonneaux jusqu’à la place Antonin Poncet, entre Saône et Rhône. En écoutant musique, on attend minuit, on tire un feu d’artifice.

Enfin, on met les tonneaux en perce.

Quelques milliers de gens sont là, on parle toutes les langues de la terre et de la mer, on est de tous les âges. En retrait, veillent les Compagnons Républicains de la Sécurité, souples et droits, silencieux. Des jeunes femmes viennent déposer des gobelets sur les toits de leurs véhicules. D’autres sont offerts à la Diane chasseresse couchée aux pieds de Louis XIV, au milieu de Bellecour.

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Le cerveau dans la bouche à essayer encore et encore de trouver des mots. Mais la bouche ne se laisse pas faire, elle reprend le dessus, redevient corps et esprit, redevient bouche.

Mâche, boit, goûte le vin nouveau !

C’est le printemps en novembre, une fille en jupe dans la bouche, elle danse, touille le vin dans le palais, tapisse ses papilles de hottées de moût, retrouve ce goût de cidre du moût à la sortie du pressoir quand, de retour des vignes, reins moulus, nous buvions le vin bourru.

Conséquence du printemps et de l’été, le beaujolais nouveau est arrivé.

Publié par

Gilles Bertin

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13 réflexions au sujet de « Vin nouveau »

  1. Je n’aime pas le beaujolais nouveau, mais pour partager cette fête des sens, j’accompagnerai volontiers ces inconditionnels d’un verre de Saint Amour. D’abords pour son nom, ensuite (et c’est là ce qui me plait en lui) pour la légèreté de son arrogance à « lécher » les cépages bourguignons… mes préférés !
    Vous n’avez pas cité la banane dans ses arômes, bravo !
    Sous votre plume, le vin nouveau semble sorti d’un hammam…

  2. @Balmolok : Vous avez un goût très sûr : le Saint-Amour est un vin à la fois léger et fort, ce qui est peu fréquent. Parole de Bourguignon.

    @Capitaine du Tarf : Il faut venir, je vous ferai visiter cette ville qui ressemble à une femme.

  3. Gibi, le saint amour a dû t’approcher de trés près :0) « Le vin bourru », quelle belle expression ! Ardeur et poésie pour fêter avec allegresse le vin nouveau et la fête qu’il suscite. A ta santé !

  4. Et bien, mon pack « la villageoise » fait pâle figure devant tant d’arômes de mots. J’ai soif. 🙂

  5. Bonjour Gibi, z’avais fini par m’attirer vers vous et pour me faire boire ! C’est du joli ! Qu’est-ce qu’il y a sous les jupes des filles ? Le beaujolais nouveau ! Y’a longtemps que je ne suis pas allée à Lyon, je saurais que le jour idéal pour des retrouvailles avec cette ville est celui où un orchestre de jazz accompagne les vignerons du Saint Amour.

  6. Désolée et navrée de le dire: bien que je sois Yconnaise, je n’apprécie pas le vin rouge.

    Le beaujolais nouveau est le seul vin rouge que je bois dans l’année. Je préfère les vins blancs, le Champagne et …l’eau mais le beaujolais nouveau m’offre chaque année, un petit moment de fête avec une personne que j’aime (ou plusieurs).

    Très beau billet, aux arômes de confiserie, charnu et franc de goût…
    …et merci pour la visite dans mes esperluettes.

  7. @Zoe : Mais qu’y a-t-il donc sous les jupes des filles ??? Je ne sais pas moi.

    @Frédérique : le vin bourru est l’expression bourguignonne, lyonnaise, etc. Et dans le sud-ouest ?

    @Epaminondas : Yconnaise ? Cela ressemble à une question du jeu des 1000 euros…. De l’Yonne ? C’est ça ?

  8. Voui, mais hélas, je n’ai jamais rien gagné grâce à ce mot (de plus, pas forcément évident à glisser dans une conversation!)

  9. Coucou Gibi! C’est que tu donnes envie de le goûter ce vin nouveau, même à moi qui boit très peu. C’est que tu le contes tellement bien qu’il suffit de fermer les yeux et la magie opère. Et la fille en jupe dans la bouche! Pour toi je suis d’accord, mais pour nous les femmes…….

  10. Babeth, on essaie avec un garçon : « C’est le printemps en novembre, torse nu un jeune homme touille le vin dans le palais, en tapisse les papilles de hottées de moût, retrouve ce goût de cidre du moût à la sortie du pressoir quand, de retour des vignes, reins moulus, nous buvions le vin bourru. »

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