Nous sommes arrivés à la Devinière en fin de matinée. Au musée Rabelais. Car Rabelais a son musée. Dans sa maison natale proclament la pancarte sur le parking et la page d’accueil du site web de ce musée. Sauf que les historiens ne sont certains ni du lieu, ni de la date de naissance de François Rabelais.
La Devinière, maison où serait né Rabelais – Photo LignesDeVie
Nous ne savions ni l’un ni l’autre rien de plus sur Rabelais que sa paillardise et quelques souvenirs de son oeuvre littéraire. Nous étions en vacances mais nous n’avons pas eu envie de nous enfermer dans ce musée, un matin d’août. Qui plus est un tout petit musée, bien peu gargantuesque. Et puis, les musées d’écrivains, je ne sais pas vous, mais moi, ça m’endemine…
Rabelais, je le découvrirai (honte sur moi !) quelques jours plus tard sur Wikipedia, était d’abord un homme libre, en actes et en pensées. Toute sa vie, il a su mener sa barque entre les ordres monastiques, l’université et le pouvoir royal pour préserver sa liberté et avoir les moyens de mener ses projets. Il a eu des protecteurs (Jean du Bellay), correspondu avec les grands humanistes de son temps (Erasme), obtenu du pape la reconnaissance de ses enfants bâtards alors qu’il était… prêtre.
Près de la maison natale de Rabelais, l’abbaye de Fontevraud
Un médaillon dans la salle capitulaire – Photo LignesDeVie
Il a su tirer profit de l’imprimerie naissante. En 1532, il s’installe à Lyon où il y a la 3ième concentration d’imprimeurs d’Europe (l’actuelle rue Mercière). Il publie Pantagruel sous un pseudonyme. En 1545, il obtient un privilège royal pour l’impression du tiers-livre. En 1550, il obtient du roi un privilège d’édition pour toutes ses œuvres, avec interdiction à quiconque de les imprimer ou de les modifier sans son consentement. A l’époque, les auteurs cèdent les droits sur leurs oeuvres et se trouvent donc exclus des recettes d’exploitation.
500 ans avant Internet, cela donne à réfléchir sur la façon dont un créateur peut savoir se positionner par rapport aux modèles économiques induits par une nouvelle technologie, ce qu’était alors l’imprimerie.
Moine, prêtre, écrivain, docteur en médecine, François Rabelais a dévoré le savoir de cette Renaissance et a défendu ce savoir dans ses oeuvres. Difficile de ne pas se demander ce qu’il saurait trouver dans notre époque, de son savoir diluvien, ce qu’il ferait du web, comment il répondrait à sa façon à la question traitée dans le numéro spécial de Books de juillet/août 2009, Internet rend-il encore plus bête ? Question initialement soulevée par Nicolas Carr dans son article » Is Google Making Us Stupid ? » il y a un an, question déjà évoquée ici.
Les jardins de l’abbaye de Seuilly et, au loin, un des innombrables
châteaux de la région. Photo LignesDevie
Or donc, au lieu de visiter le musée de Rabelais nous sommes allés à l’abbaye de Seuilly voisine de quelques centaines de mètres. Superbement restaurée, il est possible d’y loger très agréablement pour une nuit. Le soir, sous les étoiles filantes, entre les prairies et les vignes, je suis retourné à pied à la Devinière.
Aboiements lointains de quelques chiens, chants des grillons, bruissement des chauve-souris dans les arbres. Difficile de faire la différence entre 1494, l’année de naissance de François Rabelais, et 2009. Seuls rappels très contemporains, de rares phares de voitures et, sous mes tongues, le crissement du gravier sur le sentier aménagé par les collectivités territoriales entre l’abbaye de Seuilly et la Devinière.
Une réflexion sur « Une nuit avec Rabelais »