Vases communicants de Frédérique

« …pourquoi ne pas imaginer, le 1er vendredi de chaque mois, une sorte d’échange généralisé, chacun écrivant chez un autre ? Suis sûr qu’on y découvrirait des nouveaux sites… » . François Bon et Scriptopolis ont lancé l’idée. Aujourd’hui, Lignes de vie et Frédérique Martin s’invitent réciproquement.

Lassitude, par Frédérique Martin

Vibration délicate, elle arrive tout d’abord avec langueur, elle s’installe sans déranger et puis un jour, tu t’aperçois de sa présence, tu la contemples, tu t’en étonnes. Elle s’est lovée sur elle-même, elle s’est alourdie d’un coup pour asseoir sa puissance, s’emparant du pouvoir avec autorité. Coup d’état d’âme !
L’instant d’avant tu croyais encore ta voix vive et enjouée. Quelque chose bien sûr, t’avait mordu à plusieurs reprises, que tu ne savais nommer. Les livres paraissaient défunts, le soleil fade, les heures allaient, filantes et ternes, se terrer sous le plomb. Ce qui tenait debout, s’effondrait sans raison, les affections se ruinaient dans le sable. Et tout ce sel accablant, venu on ne sait d’où.
Avec frénésie, tu avais tenté de te débattre, fouillant le mica des minutes heureuses, cherchant la joie terrible approchée dans un étourdissement. Recensions exténuantes. Parfois, l’allégresse la plus simple, les apaisements les plus doux, toutes les raisons d’y croire se dérobent et refusent les caresses. Une fuite quelque part en toi, indécelable à l’œil nu, ébrèche goutte à goutte le vertige de vivre.
Il te reste, par dignité, à porter le grimaçant masque du rire. Tu feindras de tenir les peurs vivaces en respect, de ne pas succomber sous la cruauté des échecs, de trouver chaque jour le motif de tes actes. Tu hocheras la tête, observeras la lente défaite du corps, l’approche de l’innommable, en écarquillant les yeux pour ne pas sourciller. Tu n’oseras révéler à quiconque ce qui t’a posté au précipice de l’abandon, dans cet équilibre fragile où seul le cœur est en étau. Et tu devras te contenter de cette compagne, la vipère de lassitude, pour avaler le bout de poussière qui est désormais ton chemin.

Lassitude par Frédérique Martin

Lassitude par Frédérique Martin

Les autres participants aux vases communicants de ce mois : (Que les oubliés se signalent !)

Zoé Lucider et Dominique Boudou

Désordonnée et Emelka

Paumée et François Bon

Futile et grave et Fragments ecmnésiques

Fenêtres Open space et Michel Brosseau

23 réflexions au sujet de « Vases communicants de Frédérique »

  1. Etrange sensation d’écrire un commentaire sur son propre blog….. ton texte me remue, me concerne.
    Bien au delà du découragement passager, de la fatigue, il y a cette lassitude qui s’installe insidieusement, ce sont les mots exacts, « lassitude » et « insidieusement »….. Ce sont souvent dans la traversée de ces moments que naissent de nouvelles choses, différentes, neuves.

  2. Alors traversons, Gilles, traversons. Que peut-on faire d’autre ?
    Que penses-tu de cette attaque pirate précisemment le jour où nous échangeons nos textes ? Si c’est un signe, il demande à être interprété par un cabinet de voyance. Tu connais quelqu’un ?

  3. Ce qui n’engendre aucune lassitude, par contre, c’est l’écriture ciselée de notre belle (presque) endormie et ses délicieuses initiatives qui nous envoient, nomades, de blogs en blogs, comme autant d’îles d’un archipel littéraire.
    Merci Frédérique, je viens de chez toi, j’y retourne mais ici je reviendrai.

  4. Ce texte est un tel miroir tendu que c’en est douloureux. Je suis restée stupéfiée devant ce qui décrit avec une terrible justesse ce sentiment qui m’étreint. A vous lire, je me rappelle que je suis humaine, une humaine dans la communauté des humains, qui se débat et lutte contre cet enfouissement de l’être qui nous prend par surprise.
    Comme Gibi je crois aussi que de ces moments de repli on peut, parfois, renaître un peu différent et plus ancré dans la vie.
    Juliette

  5. @ Chère Juliette, à n’en pas douter, vous faites partie de la communauté humaine et c’est un vrai réconfort de vous lire. L’enfouissement de l’être, c’est exactement ça.

    @ Anna, vais-je m’y faire ? Je suis une grande fidèle et je ne peux quitter la belle Loïs si facilement. Mais je vais apprivoiser cette absence-là aussi. Des bises à la petite amabotte.

    @ Magali, je te l’ai déjà dit, mais je le répète, c’est bonheur de te retrouver.

  6. Il est vrai que cette expression  » le coup d’état d’âme  » est à retenir. Un peu embrumé ce matin, je reviendrai aussi relire quand les nuages de ma nuit se seront dissipés.

  7. Dire ainsi la lassitude, de manière magistrale, littéraire sans pleurnicherie, sans les détails du quotidien m’impressionne, tant cela résonne en moi qui ne sait que raconter mais qui aimerait savoir écrire.

  8. Merci Myel de votre lecture attentive. Un des secrets de l’écriture réside dans la distance que l’on est capable d’imposer à ses émotions. Comme si on était en quelque sorte l’observateur de soi-même. Trop proche on risque de geindre, trop loin on risque la froideur. Mais la vie tout entière n’est-elle pas ce pari d’un déséquilibre maîtrisé ?

  9. Au début ce sont des zébrures puis des felures puis le paysage s’engloutit. Rions devant l’inéluctable comme ces deux clochards croisés ce matin au bord de la Marne. Et merci pour ce texte si délicat

  10. Bonjour Zoé, que faisiez-vous au bord de la Marne, une promenade matinale ? On trouve partout les raisons de la lassitude autour de soi. C’est une gageure d’en rire.

  11. Ce texte me fait penser à un changement de saison, L’été se lasse et devient automne et ainsi de suite…
    Mais ce que l’on doit retenir, c’est que l’été revient toujours…
    R.D

  12. Je trouve ça trés beau Gibi, oui « las d’aller », comme quoi la poésie surgit quand on ne l’attend pas, à croire même qu’il faut l’ignorer pour qu’elle puisse s’épanouir.

  13. Bin quand on vient ici on ne fait pas le voyage à vide… Quelle belle lassitude, Frédérique. Quel beau courage d’y mettre les mots.
    Bon, c’est pas tout, faut que je regarde^aussi ce que fait le maître des lieux.
    des bises

  14. @ RD : Je ne crois pas. Le cycle des saisons est éternel alors que notre condition c’est l’impermanence.
    @ Merci d’être passé Manu. Es-tu allé voir chez Arf (commentaire plus haut) ? Dis-moi si je me trompe.

  15. Texte au style si délicat dont on ne saurait se lasser (j’ai lu aussi la tronçonneuse écologique).

    Juste un mot pour dire que Catherine Désormière et moi avons joué récemment aux « Vases communicants » mais sans respecter la date imposée…

    Ils se renvoient la balle sur nos blogs respectifs, « Qui parle ? » et « Le Chasse-clou ».

  16. @Dominique : mais où s’en va la décadence si à peine une règle inventée elle est transgressée ! bientôt des échanges à 3, à 4, voire seul ! Ceci dit je vais aller voir ça, mais demain matin.

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