La muselière

« Le système nous veut triste et il nous
faut arriver à être joyeux pour lui résister. »
Gilles Deleuze

Les mains du type sur la sangle de la muselière. Ses doigts aux ongles rongés qui soulèvent l’ardillon, engagent la lanière dans la boucle, tirent, ferment sa gueule au chien. Il lui parle en même temps. Autour, du grillage, un couloir, un clébard dans chaque box. Ils sortent de la société de gardiennage, direction la station de métro. Derrière eux, des traces humides. Les gros chiens, ça bave sans arrêt. Comme les clims de bagnoles. Lui, il a sa tenue de travail, un uniforme à faire peur, genre Allemagne de l’Est avant la chute du mur, affublé d’un écusson démesuré. Ils embarquent dans la rame de métro. Les gens font semblant de rien. Comme si le nazi de série B et la bête malheureuse qu’il tient en laisse étaient transparents. Ou s’ils se déplaçaient dans la quatrième dimension. Chacun son journal, son téléphone, ou absorbé dans la contemplation de ses ongles. Le chien, excité, en surdose de stimulations avec toutes ces odeurs. Aisselles, chaussures, serviettes hygiéniques, barquettes McDo. La moitié de la ville passée là depuis la mise en service du wagon.

Couinement du chien, soudain.

Un jappement court. Qui s’enfonce dans la rame comme une lame. Le type donne un grand coup de poignet sur la laisse, emportant la gueule du chien en arrière. Les passagers regardent – bien obligés – et retournent aussitôt dans leurs téléphones et leurs journaux, comme si de rien. Alors que.

Le chien baisse la tête, vaincu. Fléchit son arrière-train, révélant une tache bleue sur sa cuisse. Un tatouage. On lui a rasé les poils et on l’a tatoué. Un matricule ? La marque de la société de gardiennage ? Lui et ce type ont été des gamins, poil court, peau tiède. Un chiot déconnant avec ses frères. Un nourrisson tétant le sein de sa mère, salive et lait mêlés. Il aurait fallu les tuer juste après. Avant qu’ils ne soient reliés par cette laisse.

Le chien a senti quelque chose dans le wagon. Il a eu peur. Quelque chose qui s’est emparé de nous tous depuis bien longtemps. Il a jappé. La laisse l’a rappelée à l’ordre. Un coup sec. De derrière.

Le fichier

— Il comprend pas ce qui se passe avec le fichier.

Les deux vieilles dames sont assises dans la troisième rangée de fauteuils du wagon. L’une est manifestement un peu gaga, pas finie, elle a le corps tordu, comme souvent les déficients mentaux.

— Il comprend pas ce qui se fasse avec le fichier, répète-t-elle.

— Ils doivent avoir des problèmes, lui explique l’autre.

Le type est avec son téléphone dans le sas d’entrée, il parle très fort.

— Je ne comprends pas ce qui se passe avec ce fichier, répète-t-il une fois de plus.

Les passagers le regardent. La vieille gaga se penche dans l’allée pour le zieuter.

— Pourquoi il comprend pas, fait-elle, il est con ou quoi ?

Mauvais jeux, Nadia Le Roux

Mauvais jeux, Nadia Le Roux
Mauvais jeux, Nadia Le Roux

Pour vous donner le désir de la poésie de Nadia Le Roux, j’ai voulu extraire des pépites de son recueil Mauvais jeux. Mais bernique nique ! Dur dur d’en prendre un ou deux vers isolés. Sa poésie résiste au tronçonnage. Les citations qui suivent sont  des flashes de stroboscope sur une piste de danse. Des éclats furieux et sensuels. Tels dans ce poème qui donne son titre au recueil :

J’ai mal au jeu tu sais
Mal à l’eau qui jaillit tout bas du bas
du ventre

Amer-indien dit plus de nos vies d’aujourd’hui que tous les bulletins d’infos radio ou télé. Premier et dernier vers :

Nos vies coulent sur des tables de fortune.
[…]
C’est seulement un changement de monde.

Dans un long et secouant poème dialogué, Mai, songe et réalité, Nadia Le Roux prend le plein temps de la rencontre avec une des Mères de la Place de mai :

Le châle blanc des mères de la place de Mai, peint sur le sol de  la place de Mai, à Buenos Aires. Image Wikipedia sous Creative Commons
Le châle blanc des mères de la place de Mai, peint sur le sol de la place de Mai, à Buenos Aires. Image Wikipedia sous Creative Commons

Je suis assise devant elle, elle sourit
et me sert un verre de vin, la soirée
est douce, nous sommes allées
visiter la ville auparavant, je suis un
peu fatiguée et elle aussi, elle m’a
montré son foulard blanc et j’ai à ce
moment là eu la nette sensation de
toucher du regard quelque chose
d’important, de trop important pour
moi peut-être.

Ce sont des hommes du même bord qu’évoque Les clowns blancs, des hommes simples, pas des hommes de la société du spectacle :

Une sueur étouffée perle sous les maquillages des animaux
Hommes nains
Les soirs sont souvent lourds d’un air puant d’urine
Brûlant de fatigue invisible.

Nadia Le Roux sait aussi l’amour. L’écrire. Comme dans ce sublime et très court J’ai qui commence par :

Ton chaos infini aux cils
Tes vapeurs et ta sueur en peau
J’ai la raison en ruines.

Nadia Le Roux a reçu de nombreux prix. C’est ainsi que je l’ai croisée au Rencontres 2010 de l’Ecritoire d’Estieugues. Moi, avec Ma Veste, lauréatisée en nouvelles et elle, distinguée par un premier prix des lycéens en poésie. Nadia Le Roux est comme sa poésie, attachante, mouvante, entièrement là, dans le moment présent. Sensible.

Où est ta peau ? Où sont tes mains ?
L’imagination se sauve et je pense à
ma soif.

Mauvais jeux, Nadia Le Roux – Contact sur son site : http://nadlrx.skyrock.com/

Suivez les « 24 heures d’écriture » en direct sur le web

Voici les infos pour vous permettre de suivre l’écriture de nos 24 nouvelles en direct sur le web :

A partir de quand ?

  • Début : vendredi 11 juin à 19h
  • Fin : samedi 12 juin à 19h

Suivi sur mon site : https://www.lignesdevie.com

  • Pavé Twitter noir à droite sur l’écran qui affiche les messages postés sur Twitter par les participants et l’équipe (ça a commencé).
  • Je vous encourage à m’encourager pendant les 24 heures en m’envoyant des commentaires sur ce post ou les suivants (les heures les plus dures sont en fin de nuit).

Suivi sur le site officiel : http://www.24heuresdecriture.com/

  • Tous les quarts d’heure, affichage des 24 nouvelles « en l’état » d’écriture (si nous jouons bien le jeu d’écrire en direct dans le « back office » du site…) + profils des 24 participants.

Suivi dans le 11ième arrondissement de Paris :

  • 16 librairies et médiathèques du 11ième diffusent également l’événement.  Voir leur liste et la carte ici.

Un coup de chapeau à Fontaine ô livre, association de développement des métiers du livre du quartier de la Fontaine au roi, qui coordonne la manifestation. Et à l’agence littéraire Pierre Astier pour l’idée de ces 24 heures.

24 pour 24 heures d’écriture

Nous serons 24 auteurs non (encore) édités à compte d’éditeur. Nous aurons 24 heures pour écrire en direct une nouvelle. Le sujet nous sera donné au dernier moment.

La performance aura lieu du vendredi 11 juin à 20h au samedi 12 juin à 20h à Paris.

Nos ordinateurs seront branchés au net avec une webcam pour diffusion en temps réel dans 24 lieux du livre du 11e arrondissement parisien, des librairies et des médiathèques.

Un jury sélectionnera une nouvelle parmi les 24. Elle sera lue par des acteurs au 104, éditée  par un éditeur du 11e et diffusée dans les libraires parisiennes.

Je vous tiens au courant de la suite.

Rendez-vous sur le site 24heuresdecriture.com

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