Xmas Spirit — Vases communicants avec Dominique Giudicelli

2163678734_b33f744e15_bDécembre approchait la vingtaine. Le Xmas Spirit rutilait aux illuminations de Noël et glissait en traînées humides sous les pneus des voitures. J’observais sous l’abribus d’en face, des voyageurs engoncés en eux-mêmes, mur de sacs debout, tout crissants de sec. Je voyais leur âme s’exhaler en buée. Ça sentait le froid et le sommeil mal lavé.
Le bus arriva du fond de l’aube. Soupir de piston ; en rang, les voyageurs montent et s’affalent sur les sièges. Je les vois s’amollir derrière la vitre, dans la chaleur de l’habitable. Ils vont s’assoupir, fermer les yeux sur leur vie jusqu’à l’arrêt « boulot boulot ». J’attends mon bus pour en faire autant. Le leur s’arrache à l’arrêt et laisse derrière lui l’abri vide. Non… Sur le banc de métal, un homme. Assis, les genoux serrés. Je tressaille, il est nu. Slip, maillot, chaussettes en lambeaux. Un bras plâtré en écharpe, un sac plastique pendu au poignet. Il garde les pieds joints, les orteils repliés. Tête rentrée, craintif, un vague sourire contrit. Endurant sa peine sans mot dire. Confiant ingénument en la mansuétude des hommes. Ou du Ciel. Ou de Noël. Miracle de Noël. Deux bras solides qui l’envelopperaient dans une houppelande et l’emporteraient avec de joyeux HoHo dans une maison qui sent bon le café et pain chaud, tiens, mange et repose-toi, c’est fini…
L’homme porte un bonnet rouge et blanc qui clignote et serine – je l’entends maintenant – « We wish you a merry christmas, we wish you a merry christmas, we wish you… ». J’ai la nausée.
J’allume une clope. Envie de pleurer.

Allez, we wish you une bonne année…

Dominique Giudicelli

Dominique Giudicelli et moi nous sommes rencontrés autour de l’écriture de nos premiers romans respectifs. J’ai le plaisir de l’accueillir pour la première fois ici pour ces premiers Vases communicants de 2015. Dominique, je te souhaite une bonne année d’auteur.

Le principe des vases communicants ? Deux partenaires qui écrivent l’un chez l’autre le premier vendredi du mois.

Le lien vers mon propre texte est ici, dans le blog du site de Dominique :  http://www.des-travaux-et-des-jours.com/blog-ecriture/

La liste de tous les vases communicants de janvier 2015 est ici, grâce à Angèle Casanova.

Photo : Chicken Slaughter par Farm Sanctuary — CC BY-NC-ND 2.0

 

Johnny Guitar

un bonnet abandonné sur ce banc…
je me souviens de Johnny Guitar
on le prenait souvent pour une femme
même s’il se déplaçait avec cette énorme caisse à outils jaune bouton d’or
il aimait ce genre de bonnet
qu’il portait avec un foulard léopard

un beau jour il est parti pour l’Italie
nos trains se sont croisés
long coup de klaxon je remontais de Toulon
la marine nationale une permission
Johnny était un chevalier oui

à Paris sur le quai de la gare j’ai eu peur
j’étais presque seul un soir de décembre glacial
personne ne m’attendait la ville était vide

Johnny n’a jamais joué de guitare
il ne s’appelait pas Johnny non plus vous aviez deviné

je suis allé chez lui rue Picpus
j’ai trouvé trois gamins avec des chapkas et leur mère
un bandeau à nœud rose tenant ses cheveux
c’est eux qui m’ont dit son départ pour l’Italie
il avait laissé sa colossale caisse à outils jaune
ils étaient contents pour lui
il serait heureux là-bas disaient-ils
merde c’était leur père après tout qui les plaquait
et il était presque le mien

on ne le reverra jamais
il a été poignardé dans le tunnel du Mont-Cenis
dans son train vers l’Italie

Paris, métro lignes 6 et 8

Gilles Bertin, texte, voix, montage https://soundcloud.com/gillesbertin/johnny-guitar
Musique : Black Island Hood, https://archive.org/details/TheRiversGoingWild — Creative Commons license: Attribution-Noncommercial 3.0
Image : By Jean-Pierre Dalbéra from Paris, France (Portrait d’homme (musée Guimet)) [CC BY 2.0 (http://creativecommons.org/licenses/by/2.0)], via Wikimedia Commons, http://commons.wikimedia.org/wiki/File%3AFlickr_-_dalbera_-_Portrait_d’homme_(mus%C3%A9e_Guimet).jpg


Les poèmes de métro publiés ici sont regroupés sur le tag poemes-de-metro

La forme Poèmes de métro a été inventée par Jacques Jouet, membre de l’Oulipo.

Les clowns ne font plus rire du tout (poème de métro)

Texte et mOntage : moi
Voix : Florence
Bruitages  sous licence LESF de type « Royalty Free »
Image : extrait d’une photo d’un profil social elle-même extraite de la une d’un quotidien pendant l’apparition des clowns en France en octobre 2014


Les poèmes de métro publiés ici sont regroupés sur le tag poemes-de-metro

La forme Poèmes de métro a été inventée par Jacques Jouet, membre de l’Oulipo.