Vous le savez peut-être, en septembre dernier, des amis et moi avons lancé un projet de revue de création littéraire et photographique. Dimanche 15 mars, veille du discours de Macron où il annoncerait le confinement, il nous a paru :
à la fois impossible et obligatoire de continuer notre projet de revue. Place donc aux deux, à un journal en ligne avec nos contributeurs comme à la suite de notre projet.
(c’est ce que j’écrivais sur la page d’accueil du site de la revue quelques jours plus tard)
Nous avons discuté deux heures au téléphone et décidé de lancer ce projet de revue en ligne. Notre désir : enregistrer et garder trace de ce moment, par l’écriture et la photographie. Une dizaine d’autrices, d’auteurs, de photographes de la revuePourtant ont répondu à notre invitation.
Sarcignan, photographe et auteur, avec Foyer de contagion, journal de confinement, lui qui travaille en prison.
Sophie Bernier depuis le Québec avec Fantasmes interdit, ses 7 péchés du confinement.
Valérie Souchon avec Confinements, sa chronique poétique. Extrait de son 35e jour :
Ma boussole indique toujours le Nord les bruits se réveillent avec fracas la factrice reprend ses habitudes et dérape sur les graviers mes voisins âgés font raser la pelouse […] on dirait que quelque chose entend reprendre le dessus et bien que je m’obstine à la retourner ma boussole indique toujours le Nord.
Que lui faut-il de plus pour qu’elle soit bouleversée ?
Et moi, « Moi, moi je me prenais pour moi » comme chantait Brel, avec une photographie depuis ma fenêtre, chaque jour. Le procédé, largement utilisé par moult photographes, m’a paru approprié à cette période À résidence où nous entrions voici déjà une éternité, mardi 17 mars.
18 mars
25
30
7 avril
En réalité, j’ai pris la première le 2e jour, le 18.
D’autres participations vont arriver ces prochains jours.
Hubert Mingarelli est décédé aujourd’hui, 27 janvier 2020. La lecture de son premier roman paru en 1999 dans une collection hors jeunesse, Une rivière verte et silencieuse, m’avait marqué. J’avais eu l’occasion de l’interviewer pour l’hebdo culturel Le Petit Bulletin et, en 2004, de chroniquer un autre de ses livres, La dernière neige, dans Plumart, un journal culturel lyonnais en ligne.
Je republie ci-dessous cette interview (merci au Petit Bulletin) et cette chronique.
Hubert Mingarelli au cours d’un petit-déjeuner littéraire dans le cadre du 20e Festival international de géographie à Saint-Dié-des-Vosges — Photo (recadrée) de Ji-Elle, CC BY-SA-3.0
Cette herbe poussait si vite que personne ne jugeait utile de couper une herbe qui aurait repoussé le lendemain. Elle commençait derrière les maisons et, me semblait-il, s’étendait aussi loin que la vue portait depuis le sommet du château d’eau. Mais je ne pouvais pas l’affirmer, car je n’étais jamais monté sur le château d’eau.
C’était une herbe mystérieuse.
Je pouvais marcher une heure sans rencontrer autre chose que ces herbes qui me dépassaient d’un demi mètre en hauteur, mais laissaient entrer la lumière du soleil, de sorte qu’il n’y avait rien d’effrayant à y marcher, même sur un kilomètre à l’intérieur.
Une rivière verte et silencieuse, Hubert Mingarelli, éd. du Seuil, 1999
Interview de Hubert Mingarelli en 1999
Interview parue dans Le Petit Bulletin de Grenoble à l’occasion de la sortie d’Une rivière verte et silencieuse.
Hubert Mingarelli est l’auteur d’un premier roman très remarqué (et très beau), Une rivière verte et silencieuse (éd. du Seuil). Ses livres précédents ont été édités dans des collections destinées aux jeunes. Il vit dans un hameau près de La Mure.
Vous avez pas
mal bourlingué avant d’écrire. Pourquoi ?
Je me suis engagé à 17 ans dans la marine pour échapper à la vie d’usine et à la Lorraine. Cela a été trois années de galère terribles moralement mais qui m’ont permis de savoir ce dont je ne voulais, les gens avec qui je ne voulais pas être. Ensuite durant un an, ça a été la pure aventure dans toute l’Europe avec deux copains à vélo. Nous vivions de la musique que nous faisions. Ensuite j’ai fait plein de petits boulots, durant presque vingt ans. Cela a duré jusqu’à il y a deux ans. Je faisais de l’alimentaire pour avoir le maximum de temps pour créer. Je savais depuis le début de l’adolescence ce que je voulais faire, que je ne serais heureux qu’en faisant des choses venant uniquement de moi, et l’art permet cela.
Votre roman est
un dialogue père/fils, sans mère, où rien n’est dit directement. C’est une voie
assez peu explorée ces temps-ci en littérature française.
Ce que fait le
père dans le roman est une métaphore de tout ce que j’ai voulu faire dans la
vie, il plante des rosiers, il va de boulot en boulot. Un critique a dit que le
tunnel d’herbe où marche le fils représente le cocon maternel, cela m’a plu
mais j’essaie de ne pas trop creuser. Je fais confiance à l’intelligence du
lecteur quand j’écris, je me donne beaucoup de mal, j’ai envie qu’il
s’implique, qu’il fasse lui aussi beaucoup dans la lecture.
Vous écrivez
depuis dix ans. Que représente ce début de succès représente pour vous ?
C’est vachement
important. Si j’écris c’est pour que l’on aime ce que je fais. J’ai toujours eu
une bonne critique pour mes livres précédents, cela m’a beaucoup aidé et m’a
permis d’évoluer, de prendre des risques en écriture. Tout le monde peut
raconter une bonne histoire, ce qui fait la différence, c’est la technique,
quand un livre est bien écrit, quand il est honnête, quand il ne sent ni
l’effort, ni la fabrique. Comme les écrivains que j’aime, London, Kerouac,
Brautigan, Fante, Carver, Bukowski. Entre ce qu’ils ont écrit et ce qu’ils ont
vécu, il y a un rapport étroit, il y a de la chair. Une œuvre ça vient de soi,
sinon on est dans le consensus. Les bons livres, c’est toujours
autobiographique.
Propos recueillis pour le Petit Bulletin par Gilles Bertin
La dernière neige
Il y a de petits livres comme ça… comme Le vieil homme et la mer… des petits livres où deux hommes, un qui commence sa vie, un qui la termine, se confrontent à l’essence du monde. Un espadon et un milan. L’océan et la montagne. Hemingway Mingarelli, la comparaison est légitime. De livre en livre, Hubert Mingarelli épure, dépouille, essenciellise, ne laisse à ses personnages que leurs pieds, leurs mains et quelques paroles. Leurs pieds dans ces chaussures qu’ils cirent parce qu’ils savent que ce cuir doit être protégé, qu’il est essentiel. Leurs mains qui ne se touchent pas. Qui ne manipulent plus que l’essentiel. Un peu d’argent. De la nourriture. Leurs paroles sont rares. Ils marchent dans des étendues sans fin. Prairies de ce magnifique Une rivière verte et silencieuse. Neige uniquement tachée par les plaques bleues des mares gelées de La dernière neige. Les personnages de Mingarelli ne se parlent qu’à travers des histoires d’animaux ou d’objets, des histoires d’hommes. Un fils et son père. Le père à un bout de la vie, sans ressources dans Une rivière verte et silencieuse. Cloué au lit, proche de la mort dans La dernière neige. Et c’est le fils qui va au monde. Qui veut ce milan dans sa cage. Qui le rapporte au père. Qui fait de lui cet homme qui a un fils. Mingarelli n’en sait pas plus. Il n’a pas de théorie, pas de morale, pas d’introspection. Il écrit des histoires, vraies. Il les commence avec ce fils et son père. Ce fils qui marche. Ce père sur son lit de mort. Et nous allons ensemble, lecteur et écrivain, au bout du livre avec ces deux hommes, comme nous allons dans nos vies entre notre père et notre fils. Et qu’en dire d’autre que c’est peut-être ça qu’un père attend pour partir, que son fils aille au monde et qu’il lui ramène encore une fois.
À supposer que Bernard Victorri, directeur de recherches au CNRS, qui avait tenu fin octobre 2014 devant des Normaliens la conférence L’origine du langage ait fait son jogging le dimanche 16 novembre suivant vers 10h15 au Parc de la Tête d’Or à Lyon, dans les environs de l’entrée côté boulevard des Belges, le 16ème lyonnais — mais cela n’a rien à voir avec les origines du langage —, il aurait entendu un garçon de quatre cinq ans demander à son père, tout en pédalant, les raisons de la mort à l’âge d’un an du frère de son grand-père.
« Il avait de l’eau dans le cerveau, lui répondit son père pédalant à ses côtés, maintenant on pourrait le soigner. »
Puis ce garçon posa des questions sur le cerveau lui-même, ce qui aurait amené un sourire sur le visage en sueur de Bernard Victorri repensant à son argumentation en trois points, à savoir la capacité des langues humaines à emboîter des phrases les unes dans les autres (vers 8’30’’), autrement dit la récursivité ; à dérouler dans une même phrase des événements situés dans des temps différents (vers 9’10’’) ; et enfin à nuancer des assertions (vers 10’10’’).
Trois arguments qu’au terme de sa conférence Victorri avait ramassé dans la supposition que les langues serviraient à l’humanité à raconter des histoires, ce que savent bien conteurs et écrivains. Et, tout en courant à petites foulées sur l’allée de ceinture du parc jonchée de feuilles mortes, aurait-il songé que tout ce qu’il avait raconté dans sa conférence tenait dans le « pourquoi » de ce gamin. Comme au nombre de pourquoi qu’un gamin pose et aux trésors de langage nécessaires pour lui répondre. Il en serait finalement arrivé à ses propres pourquoi, que lui, chercheur en linguistique, a passé sa vie à explorer en utilisant le langage.
Conférence de Bernard Victorri enregistrée à l’ENS et publiée par UniverScience sur DailyMotion le 30 octobre 2014, puis sur YouTube en 2015.
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