Chrìstos Ikonòmou — Ça va aller, tu vas voir — Quidam éditeur

Des rêves. Des rêves. Pour des gens comme nous les rêves sont comme les glaçons — tôt ou tard ils fondent.
(page 83, Le sang de l’oignon)

Ce recueil est un choc. Une découverte. Souvent il laisse une sécheresse dans la bouche. Il y a le fond, il y a la forme. Il y a les deux, fondus. Le fond, c’est l’empreinte de la crise sur les êtres humains au Pirée, à Athènes, bien que les nouvelles de ce recueil aient été écrites avant 2010, avant la crise financière « officielle ». La forme est le style très littéraire, très personnel de Chrìstos Ikonòmou.

Dechets-demolition

Il utilise par exemple échos et objets :

Monsieur, a dit la fille. Vous pouvez mettre la couronne sur la tête à notre Jésus ?
(pages 58, 60, 62, 64, Et un œuf Kinder pour le petit)

Répété plusieurs fois dans la nouvelle, ce passage et cette couronne d’épines prennent progressivement leur sens, le héros de la nouvelle tenaillé par la faim, chômeur cherchant à manger pour son enfant est entré dans une église ou des adolescentes préparent des décorations pour Pâques (fête importante en Grèce). Dans beaucoup des seize nouvelles, un objet va incarner dans les mains des héros un sens métaphysique ou spirituel, le relier à quelque chose qui le traverse et le dépasse, la couronne d’épines, une salade dans Èlli, fais quelque chose, nourris le cochon rose, la première nouvelle, le glaçon dans Le sang de l’oignon où les deux protagonistes sont des employés livrant des sacs de 10kg de glaçons dans les bars de la ville :

Le ciel était d’un bleu aveuglant. L’air sentait l’iode et les frites. J’allais dire, quelle belle journée. Mais je n’ai rien dit. J’ai pensé aux paroles de Mihàlis. Si tu ne dis pas ce que tu sens tu peux finir par ne plus le sentir. J’ai pensé à ce que ça faisait d’écrire sur un mur je serai fusillé. Ce que ça fait de manger des oignons et du pain tous les jours tous les jours. De téter le jus de l’oignon et que le jus de l’oignon soit du sang. Ce que ça fait de travailler d’économiser de rêver et que les rêves fondent comme des glaçons, comme s’il y avait des mains dans ce monde faites seulement pour ça — tenir les rêves des pauvres gens et les serrer jusqu’à ce qu’ils fondent comme des glaçons. Mais je n’ai rien dit.
(page 88, Le sang de l’oignon)

Christos-Ikonomou-ca-va-aller-tu-vas-voir-Quidam-editeurEt ce passage contient aussi un autre aspect du style de Chrìstos Ikonòmou, l’absence de ponctuation dans les monologues intérieurs de tous les textes. Une absence haletante, bien reprise par le traducteur Michel Volkovitch dont il faut citer la qualité littéraire du travail. Cette absence alterne avec des descriptions sèches, factuelles.

Ils étaient quatre-vingt-cinq à rester sans travail quand l’usine Roter a fermé. Femmes et hommes. Jeunes, vieux, intérimaires. Au début il courait partout avec les autres — ministères, partis, manifs, meetings. Slogans, banderoles, poings levés, voix enrouées. Colère, peur, angoisse. Le pire, c’était ce qu’on disait, les rumeurs, les mensonges. D’abord on te portait aux nues, puis on te coupait les jambes, on te cassait, on te massacrait. C’était ça le pire. Les rumeurs et les mensonges. Puis, fatigué, désespéré, il s’est mis à chercher pour lui à droite à gauche. Puis on leur a dit qu’ils seraient tous embauchés dans les municipalités voisines à temps partiel. Il s’est réjoui, a repris courage et dit à l’enfant n’aie pas peur, tout va s’arranger, tu vas voir, aie confiance en ton père. Des semaines ont passé. Puis on leur a dit pour le partage.
On avait fait un partage, disait-on. On avait réparti les places dans les municipalités. Ceux du PC à Kokkinia, ceux du PASOK à Korydallos et Keratsini, ceux de droite partout. Tout le monde était casé. Tout sauf lui et cinq ou six autres qui ne savaient pas. Qui avaient été pris de court. Qui n’était ni rouges ni verts ni bleus. Tout s’est passé tranquillement, simplement, gentiment. Et lui n’y a vu que du feu.

(page 60, Et un œuf Kinder pour le petit)

Montant-benne

Les personnages de ces nouvelles sont du mauvais côté du manche, femme tirant le diable par la queue quittée par son compagnon avec ses économies, quelques centaines d’euros amassées pièce à pièce depuis des mois dans une tirelire (Èlli, fais quelque chose, nourris le cochon rose), chômeurs, victimes de bastonnades. Mais s’ils sont dans la loose, la panade, la pauvreté extrême, plus un euro, leur désespoir est « grand », il les dépasse, sans fioriture, sans métapensée de l’auteur, et ils continuent à se mouvoir, avec lucidité et humour :

Il s’est dit, comme c’était injuste que les seuls mots qu’il ait trouvé à dire aux médecins ressemblent à ceux des séries télé. Puis il s’est dit qu’après s’être mis à parler comme les gens de la télé il se mettrait bientôt à penser comme eux et ça l’a terrifié, cette pensée lui a glacé le cœur — alors il s’est redressé a serré le bâton dans son poing marché plus vite il s’est dit que sa terreur était sans raison puisque jamais dans aucune série personne ne ferait ce qu’il était en train de faire.
Enfin il n’était pas sûr. Car les gens de la télé, on le sait, ce n’est pas l’imagination qui leur manque.
(page 75-76, Pancarte sur manche à balai)

et parfois, en touchant à l’absurde, comme ce manifestant portant une pancarte sans slogan, Chrìstos Ikonòmou grimpe vers la finitude, ce qu’il écrit grossit en roulant de notre raison vers notre émotion et nous atteint en plein ventre.

Un bout de scotch décollé du carton pendait comme une langue jaunie. Il a penché la pancarte et recollé le scotch en appuyant fort avec le pouce. Du bricolage. S’il avait écrit quelque chose sur le carton quelqu’un sûrement se serait intéressé quelqu’un se serait arrêté pour lui demander par curiosité de quoi il s’agissait. Ce serait mieux que rien. Sûrement. Mais il n’avait rien pu écrire.
[…]
Il n’avait rien pu écrire sur le carton.
Il y a des choses qu’il est dur de sortir de soi. Très dur. Impossible.
Comme si l’on demandait à quelqu’un de pleurer d’un seul œil.
(page 78, Pancarte sur manche à balai)

puis plus loin, presque Brautiganien, avec des accents d’un Autin-Grenier :

Voilà, il s’est dit, la manif la plus ratée depuis le début du mouvement ouvrier. Depuis le début du monde.
Je suis plein d’un vide incroyable.
Si seulement j’avais écrit quelque chose.
Je suis plein d’un vide incroyable.
Si seulement j’avais écrit quelque chose de funèbre héroïque ça aurait intéressé quelqu’un.
Sûrement.
Trop tard maintenant.
(page 79, Pancarte sur manche à balai)

Platre-et-plastique

C’est l’un des meilleurs recueils que j’aie lu de ma vie de lecteur de nouvelles, à la hauteur des plus grands, procurez-vous ce recueil et maudissez-moi si je vous ai mené en bateau. Vous trouverez dans ces nouvelles de quoi comprendre avec vos tripes ce qu’encaisse le peuple grec, de quoi vous rassasier d’un style vigoureux et original, un style nourri des styles des plus grands, même si leurs traces sont invisibles, contrairement à ce qu’affirme La Reppubblica en le qualifiant en quatrième de couverture de « Faulkner grec ». Ce n’est pas vrai, Chrìstos Ikonòmou n’est ni un faux Faulkner, ni un faux Carver, et même s’il a du Hugo en lui, il est l’un des grands nouvellistes actuels.


Ça va aller, tu vas voir, Chrìstos Ikonòmou, traduction Michel Volkovitch, Quidam éditeur, parution 03/03/2016, 217 pages, 20€

Photos : Déchets de démolition, Gilles Bertin, Paris, 31 mai 2016

Le mot qui te manque, Béatrice Libert

Sténopé Gilles Bertin, CC-BY-NC-ND — Lyon, quais de Saône, passerelle Saint Vincent

Quel mot te manque à la jointure du soir ?
Celui où prendre appui ?
Où perdre nuit ?
[…]
As-tu prononcé les mots qu’il fallait ?
Alors quel est celui qui te manque
à la jointure du soir et dont tu ne sais rien ?
[…]
Il ne vient pas. Il faudra dormir sans. Tu le devines.
Quelque chose te dit même que ce ne sera pas facile.
Que tu auras plus froid.

Trois extraits d’un poème du recueil de Béatrice Libert, Un chevreuil dans le sang, page 31, recueil que je présenterai sans doute prochainement ici.


Béatrice Libert, Un chevreuil dans le sang, Éditions l’Arbre à paroles, collection Anthologies, 2014, ISBN : 978-2-87406-583-5, 148 pages, 15€

Photo : sténopé Gilles Bertin — Droits : CC-BY-NC-ND — Passerelle Saint Vincent, Lyon, octobre 2014

Xmas Spirit — Vases communicants avec Dominique Giudicelli

2163678734_b33f744e15_bDécembre approchait la vingtaine. Le Xmas Spirit rutilait aux illuminations de Noël et glissait en traînées humides sous les pneus des voitures. J’observais sous l’abribus d’en face, des voyageurs engoncés en eux-mêmes, mur de sacs debout, tout crissants de sec. Je voyais leur âme s’exhaler en buée. Ça sentait le froid et le sommeil mal lavé.
Le bus arriva du fond de l’aube. Soupir de piston ; en rang, les voyageurs montent et s’affalent sur les sièges. Je les vois s’amollir derrière la vitre, dans la chaleur de l’habitable. Ils vont s’assoupir, fermer les yeux sur leur vie jusqu’à l’arrêt « boulot boulot ». J’attends mon bus pour en faire autant. Le leur s’arrache à l’arrêt et laisse derrière lui l’abri vide. Non… Sur le banc de métal, un homme. Assis, les genoux serrés. Je tressaille, il est nu. Slip, maillot, chaussettes en lambeaux. Un bras plâtré en écharpe, un sac plastique pendu au poignet. Il garde les pieds joints, les orteils repliés. Tête rentrée, craintif, un vague sourire contrit. Endurant sa peine sans mot dire. Confiant ingénument en la mansuétude des hommes. Ou du Ciel. Ou de Noël. Miracle de Noël. Deux bras solides qui l’envelopperaient dans une houppelande et l’emporteraient avec de joyeux HoHo dans une maison qui sent bon le café et pain chaud, tiens, mange et repose-toi, c’est fini…
L’homme porte un bonnet rouge et blanc qui clignote et serine – je l’entends maintenant – « We wish you a merry christmas, we wish you a merry christmas, we wish you… ». J’ai la nausée.
J’allume une clope. Envie de pleurer.

Allez, we wish you une bonne année…

Dominique Giudicelli

Dominique Giudicelli et moi nous sommes rencontrés autour de l’écriture de nos premiers romans respectifs. J’ai le plaisir de l’accueillir pour la première fois ici pour ces premiers Vases communicants de 2015. Dominique, je te souhaite une bonne année d’auteur.

Le principe des vases communicants ? Deux partenaires qui écrivent l’un chez l’autre le premier vendredi du mois.

Le lien vers mon propre texte est ici, dans le blog du site de Dominique :  http://www.des-travaux-et-des-jours.com/blog-ecriture/

La liste de tous les vases communicants de janvier 2015 est ici, grâce à Angèle Casanova.

Photo : Chicken Slaughter par Farm Sanctuary — CC BY-NC-ND 2.0

 

Auteurs de Midi-Pyrénées : une formation web les 1 et 2 décembre pour vous

J’animerai 2 ateliers « Être présent sur le web » les 1er et 2 décembre à Toulouse pour les auteurs de Midi-Pyrénées à la demande du Centre Régional des Lettres Midi-Pyrénées.

Objectif : développer sa présence web pour chacun des 8 écrivains, illustrateurs, traducteurs, scénaristes ou dessinateurs participant à l’un de ces deux ateliers.

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L’outil de création de site WordPress que vous apprendrez à utiliser

Chacun des stagiaires travaillera sur son propre projet de présence web.

Il partira de la définition de ses propres mots-clefs pour lesquels il veut être bien positionné dans Google (si possible premier dans quelques mois). Il apprendra comment créer lui-même son propre site web en utilisant des outils gratuits ou très peu coûteux (nous utiliserons WordPress). Il l’habillera avec un thème graphique de qualité et un menu de navigation correspondant à son projet artistique et à la mise en avant de son offre. Enfin, il coordonnera ce site avec sa présence sur les réseaux sociaux en affinant ses profils sociaux.

Cette journée très pratique et individualisée (chacun travaillant sur son projet) sera prolongée d’un suivi à distance durant les 2 mois suivants.

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Le site de l’auteur Frédérique Martin créé avec WordPress

Un exemple de site web d’auteur est celui de Frédérique Martin, réalisé avec elle depuis 2008. Bien sûr, il n’est pas question en une journée de construire un site contenant autant de matière et  une structure aussi élaborée. Par contre, vous apprendrez le 1er ou le 2 décembre à en jeter l’ossature pour continuer ensuite par vous-même, avec ou sans l’aide d’un webmaster professionnel.

Je suis également le créateur du site web Lyon-visite.info recevant entre 500 et 1000 visiteurs par jour, bien référencé dans Google sur des mots-clefs tels que « Visiter Lyon », « Lyon en 2 jours », « visite guidée fête des lumières ».

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Les 1 ou 2 décembre 2014 à Toulouse, formation finançable par l’Afdas.

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