J’emmène mon cheval avec moi / quand arrivent les nuits noires » commence Albane Gellé, l’une des 84 poètes de cette exceptionnelle anthologie, panorama de la création poétique de langue française contemporaine parue en février, alors qu’un virus se nichait parmi nous.
« Alors, poursuit-elle, si on réussit à avoir tous les deux
Albane Gellé, page 193
le courage du coquelicot
on aura encore des forces
pour les jours à venir ».

La contribution d’Albane Gellé est une variation, une approche parmi 84 autres de ce mot de « courage » choisi cette année 2020 pour le Printemps des poètes. Ça tombe bien, nous en besoin, de cette force de roseau du coquelicot sous le vent, de son écarlate qui palpite dans le vent, de sa Claude monnaie, de sa propension à pousser « sous les sabots ».
Ce pack de poèmes par ce chœur de 84 voix donne une vision plus que revigorante de la création de langue française aujourd’hui. D’ardeur, en fête. Sur ce cheval qui revient souvent, « On traverse les forêts comme un tranchement de gorge » écrit Cécile Coulon page 113. « La pierre, d’ordinaire sombre et lisse, noire comme l’avenir » est de la couleur des toiles de Soulages.

Huile sur toile 203x143cm, 30 novembre 1967, Donation Pierre et Colette Soulages, musée Soulages, Rodez. Photo Vincent Cumillière. Pour le Printemps des Poètes 2020.
Le peintre a cent ans cette année, il a donné au Printemps des poètes 2020 son affiche. Un noir qui est aussi de la couleur du poison, celui de Charles Juliet,
« Couché dans le creux de tes bras
Charles Juliet, pages 217, 218 — Extrait de Moisson
il tétait le lait
de ta mélancolie
un lait noir amer corrosif
[…]
dans la confusion
il a lutté
régurgité le lait noir
s’est construit
Le poète le connaît bien ce courage de toute une vie à se construire.
Autre courage, tout aussi tétu, le courage de la joie de Florentine Rey, que l’on trouve dans toute son œuvre et dans ses performances publiques, l’une des signatures de sa poésie,
Je traîne en haut du paysage
Florentine Rey, page 305 — Florentine Rey est l’une des invitées du numéro 1 de la nouvelle revue Pourtant, qui sortira en juin.
Le défi : ne pas fondre
J’avale goulument l’air glacé
Ronde comme une lune
je dévale les cols
et me cogne
aux bords du monde
J’ouvre la bouche en grand sous l’ondée
L’eau ressort par mes pieds
Cali, Charlélie Couture, Brigitte Fontaine, Sapho, Laurent Gaudé, Tahar Ben Jelloun aux noms grand-publiquement connus pourront être pour le lecteur intimidé par la poésie une invitation à mettre le pied dans ce gros livre de 392 pages, comme on tâte l’eau de la mer au printemps avant une première baignade. Il pourra s’ébrouer avec le plus jeune de cette cohorte, Alexandre Bonnet-Terrile, 21 ans,
Soyez indulgents
Alexandre Bonnet-Terrile, page 85
par pitié
Je parle Je respire Je marche Je me tiens
debout
devant vous
depuis si peu Je ne sais pas
de quelle
façon
m’y prendre
J’ai souvenir d’un monde qui n’existe pas
Ce dernier vers sonne plus encore dans cette pandémie, sur nous humains, et notre monde.
Ou avec Rim Battal, poétesse de l’interrogation de ce que nous sommes aujourd’hui, femme et homme, homme et femme,
Vu
Rim Battal, page 57
le bois de mon aisselle
envoyée par mail
ma mère me somme de
contraindre la nature encore
en ce lieu délicat
de correspondre

Le courage de commencer, le courage de s’en aller, du dernier bain,
Tout à l’heure, je ne serai plus, tu ne seras plus.
La vraie douleur c’est que de jour en jour approche, mais ce qui est persiste, c’est notre ignorance à son propos. Demain, ou dans une semaine, un mois…
[…]
Ah, sers-moi tant que tu peux, musicien. Tu as rempli de caresses mon existence qui s’en va.Voici les robes éclatante des promeneuse,
Marie-Claire Blancquart, page 46 puis page 43
Et la langue tirée des petits chiens au poil roux.
Marie-Claire Blancquart, disparue en 2019, comme l’ami Michel Baglin aux vastes mains et à la voix cassoulet. Et encore d’autres,
Il y a tant de pas entre vous que j’écris dans la marge.
et
Le courage d’une mouche
Cécile Guivarch, page 204, et Serge Pey, page 285
est parfois de ne pas sucer
l’étron sur lequel elle se pose
Arthur Rimbaud s’en allait les poings dans ses poches crevées. Thomas Vinau, lui, proclame de sa poésie :
J’écris pour garder et pour regarder. J’écris pour ce matin de fin janvier dans lequel nous marchons ensemble jusqu’à l’école sous la lune froide comme réverbère givré. Ce matin où, arrivé devant sa classe le plus petit s’est affolé en se rendant compte que son pull n’avait pas de poche. J’écris pour ces petites poches et pour ce matin où, ne sachant plus quoi faire de ses mains, de ses os, de sa terreur, il devient imperceptiblement plus grand, imperceptiblement plus beau encore, tellement digne d’amour, en affrontant ce qui d’un seul coup lui manque.
Thomas Vinau, page 364
Achetez ce livre, il vous donnera du courage chaque matin, il vous donnera le courage tétu de Charles Juliet, la joie de Florentine Rey, la grâce du coquelicot d’Albane Gellé, longtemps, longtemps. Il est publié par Le Castor Astral.
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En Nouvelle Aquitaine, l’anthologie est disponible, réservable et enlevable (“click and collect” !…) dans 20 librairies sur Librairies Indépendantes en Nouvelle Aquitaine.
Gilles Bertin
Au sommaire, entre autres parmi les 84, et en plus des auteurs déjà cités: Jean-Pierre Chambon, Jacques Darras, Patrice Delbourg, Jean-Marc Flahaut, Guy Goffette, Yvon Le Men, Éric Poindron, Joseph Ponthus, Valérie Rouzeau, James Sacré, Jean-Pierre Siméon, André Velter.
Nous, avec le poème pour seul courage, Collectif ; Anthologie réunie et présentée par Jean-Yves Reuzeau ; Éd. Le castor astral, 393 pages, 15€