plus jamais parler d’elle

Elle était toute en bleu, grunge, pantalon déchiré
grosses joues de bonne fille
Elle tira de son sac une fiche de consultation
au logo de l’Assistance Publique
la relut plusieurs fois
frottant la commissure de ses yeux
pourtant elle ne pleurait pas elle fit ça longtemps
Soudain eut un sourire mystérieux
un printemps sur son visage
Pile à ce moment le soleil joua sur elle
le tatouage de cheval sur son bras galopa
un hôpital de l’Assistance publique défilait avec ses pavillons serrés
il ressemblait à celui d’où elle venait
elle regarda de l’autre côté
Ce fut le fleuve jeté en travers du métro
qu’il franchit avec elle guettant la liste des stations au-dessus des portes
Elle prit sous le siège où elle l’avait rangée une béquille
le rouge de ses ongles était écaillé

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Dehors
elle tira du grand sac plat à son épaule un dossier
d’un geste précis le mit dans la gueule d’une poubelle
examina la plaque de la rue
celle de la fausse adresse qu’elle avait donnée pour le dossier
au 126
ou au 127
elle ne savait pas exactement de quel côté
il y avait tant de possibilités
C’était une histoire finie avant d’avoir commencé
à peine inventée
une des multiples histoires qui aurait pu avoir lieu dans cette ville aux couches multiples comme une moussaka
Derrière elle un homme aux cheveux coupés courts cinquantaine polo gris rayé de blanc avait la main dans la gueule de la poubelle
il tourna les pages du dossier
un formulaire de l’Assistance Publique
« Service des enfants assistés »
Il le rangea dans son cartable
La béquille contre la poubelle ressemblait à un étai
La femme avait disparu

Gilles Bertin

Paris, métro lignes 6 et 8, 4 septembre 2015

Lu par Myriam Linguanotto
Photo : Gilles Bertin


Ce poème a initialement été publié ici voici plus de deux ans, le 4 septembre 2015.

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La forme Poèmes de métro a été inventée par Jacques Jouet, membre de l’Oulipo.