Combien de choses sais-tu par instinct

« Pourquoi
Parce qu’il sait qu’il va mourir
Il ne sait rien rien
Si c’est instinctif
Combien de choses sais-tu par instinct* » au-delà de toute raison, dans ce continent sans cartographie. Il le sait depuis si peu qu’il pense qu’il ne s’habituera jamais à cette idée. Il a les jambes tremblantes parfois, des perles minuscules d’eau dans les poils de sa moustache et de ses favoris aux premiers brouillards, quand il va chez sa fille à vélo, garder son petit-fils pendant qu’elle s’accorde du temps pour elle. Il joue avec Adrien, ils s’entendent bien tous deux. Durant ces moments, il oublie celle dont on ne prononce pas le nom, il est longtemps arrivé en retard, a longtemps remis à demain, elle est là, invisible dans ce continent mystérieux sous leurs pieds où les mots sont insolubles et sur lequel ils jouent ensemble.

Sténopé de cabane et vélo

Puis il rentre à vélo, il pédale lentement, pensant à pas grand chose, le soir tombe, des ronciers et des haies vient une odeur tenace. Il range son vélo contre le mur et s’il ne fait pas trop froid s’assied dehors, regarde le paysage sans le détailler, la maison de sa fille et d’Adrien est dans cette masse d’ombres et de pointillés de lumières, une obscurité vivante comme son chien assoupi, il plisse des yeux, son cœur pourrait s’arrêter maintenant, demain.

sur un extrait de La route des Flandres de Claude Simon

Gilles Bertin


* Citation liminaire (en italiques) : Claude Simon, La route des Flandres

Photo : sténopé, Gilles Bertin