Vases communicants de Enfantissages

« …pourquoi ne pas imaginer, le 1er vendredi de chaque mois, une sorte d’échange généralisé, chacun écrivant chez un autre ? Suis sûr qu’on y découvrirait des nouveaux sites… ». Ainsi sont nés les vases communicants.

Aujourd’hui, Enfantissages et Lignes de vie s’invitent réciproquement. Voici donc :

Lettre au mort inconnu

de Enfantissages

Aujourd’hui c’est ton enterrement. En voyant tout ce monde qui se rend à l’église pour la cérémonie, je me dis que tu es soit un notable, soit un jeune. Je dis « un » parce que, j’ignore pourquoi, je t’imagine au masculin. Et jeune, parce qu’une vie écourtée touche plus les gens. Enfin, c’est ce que je me dis. C’est plus absurde, plus injuste, plus triste que la fin d’une vie longue, qui elle est une chose dans l’ordre des choses. Un jour, il faut bien mourir.

Il y a beaucoup d’enterrements, ici. Ça met de l’animation. Tout à coup les rues du village se remplissent. De petits groupes passent devant chez moi, ou des personnes seules. Celles-ci ont l’air plus graves que celles en groupe, qui mènent conversation. L’air du village se remplit de ce brouhaha éphémère. Vers deux heures d’abord – mais avant la cérémonie les gens sont plus silencieux, plus recueillis, plus anxieux peut-être. Puis après, vers trois heures et demie, ils sont au contraire bavards, je les entends même rire à gorge déployée parfois, ils sont soulagés, c’est fini.

Justement, regardant passer par la fenêtre ceux qui viennent te rendre un dernier hommage, un dernier salut ou une dernière pensée, qui viennent t’accompagner vers ta dernière demeure, comme on dit, je vois une femme rire de bon cœur. Je sens mes yeux se plisser et mes mâchoires se crisper.

Ça me ramène loin en arrière, lors des obsèques de ma grand-mère. Dans les familles sans religion, les enterrements se réduisent parfois à leur plus simple expression. On accompagne le cercueil jusqu’au caveau, on jette chacun son tour soit une rose, soit un peu de terre. Et c’est tout. On se retrouve ensuite quelque part, pour un repas froid.

Pour ma grand-mère, les assistants à l’absence de cérémonie s’étaient réunis au funérarium. Je me souviens, je me sentais très angoissée. Rien ni personne ne m’obligeait à entrer dans la pièce où gisait ma grand-mère, mais je voulais voir, la voir. Je n’avais jamais vu de mort. Ce qui me causait une telle angoisse c’étaient les derniers souvenirs que j’avais d’elle, dans son lit d’hôpital. Couverte de bleus et d’escarres. Elle si digne et si distinguée, si hautaine même, elle qui parcourait à vélo, pendant le couvre-feu, le Paris occupé par les Allemands pour aller délivrer les femmes enceintes, elle qui avait bravé la milice, elle qui, alors que mon grand-père était prisonnier en Pologne, avait élevé seule trois garçons, elle était là, sur ce lit d’hôpital, prisonnière à son tour d’un corps réduit lui aussi à sa plus simple expression, peau sur les os, mains recroquevillées, attachées pour ne pas qu’elle se blesse.

Dans le grand hall du funérarium, j’entends soudain un éclat de rire. La colère me saisit. Ce rire est totalement déplacé, indécent ! Qui vient troubler ainsi le deuil des proches, notre deuil, mon angoisse, mon rendez-vous avec la mort ? Un cousin au énième degré est venu avec sa « copine ». Quel culot ! Elle n’a rien à faire là, elle ne connaissait même pas la défunte ! Et en plus, elle prend ça tellement à la légère qu’elle rit en se trémoussant comme une collégienne ! Je me sens humiliée dans ma peine, dérangée dans mon recueillement, enveloppée dans l’incompréhension hilare de cette inconnue.

Tu vois, toi le mort d’aujourd’hui qu’on va enterrer, ce sont tous ces souvenirs enfouis qui sont soudain exhumés quand j’ai entendu rire cette femme, sur le chemin de l’église. Mais laisse-moi te raconter encore, ça me fait du bien. Tu es un confident attentif.

J’étais entrée dans la pièce, seule. Mes parents m’y avaient gentiment encouragée. Elle reposait dans son cercueil, vêtue avec cette bourgeoise élégance dont elle ne se départait jamais de son vivant. Ses joues étaient d’un rose délicat, comme son gilet en cachemire. Elle semblait respirer, j’aurais juré, fascinée, voir d’imperceptibles soupirs soulever ses paupières, gonfler ses joues, agiter ses lèvres. Elle dormait. Le thanatopracteur avait bien fait son travail. Il lui avait rendu sa dignité, elle avait retrouvé la paix.

J’aurais voulu la toucher. Sa peau discrètement fardée avait l’air si douce et veloutée. Peut-être que la chaleur du corps avait été conservée, elle aussi ? Mais malgré mon esprit entièrement tendu dans cette ultime caresse, je n’osais pas plus que de son vivant. Car tu vois, je retiens tellement souvent mon geste, qu’il n’en reste que mon désir ardent de tendre une main qui reste obstinément immobile.

Comme le jour où je me suis retrouvée au pied du Mur, à Jérusalem. Je m’en étais approchée le plus près possible, je veux dire, le plus près qu’il me semblait possible sans déranger les femmes en prière qui m’entouraient. Je pourrais presque aller jusqu’à dire que j’étais prise de cette crainte divine, de cette sainte terreur de Dieu, frappée de « awe » comme disent les Anglais. Je contemplais ce mur vieux de plus de deux mille ans, vestige sacré d’un temple, non, DU Temple, dont chaque fissure, dont chaque interstice étaient remplis, non pas de mousse, ou de ruines de Rome, mais de centaines de milliers de minuscules bouts de papier pliés. J’aurais tellement voulu y poser la paume de ma main et sentir contre ma peau ses rugosités ocres que j’ai cru l’avoir fait, que c’est comme si je l’avais fait.

Tu vois, finalement, après le rire on en revient aux Lamentations. Mais on frappe à la porte. C’est Jean, un voisin. Il vient nous rapporter la faux que nous lui avons prêtée. Je l’aime bien Jean, il a l’air vraiment gentil. Et là, il fait preuve d’un humour dont, je ne sais pas pourquoi, je ne l’aurais pas cru capable. Il nous raconte que, passant devant l’église où s’amassait la foule éparpillée pour assister à la cérémonie funèbre, il s’était senti « un peu mal à l’aise, avec cette faux sur l’épaule, un peu comme, vous savez comme on dit, hein, comme la … vous savez… la Faucheuse, quoi ! » Et il a eu ce petit rire discret que j’apprécie beaucoup chez lui. Je te rassure, il semblait authentiquement gêné d’avoir accidentellement joué un rôle, sinon dans ta mort, du moins dans tes obsèques !

C’est à ce moment-là que je me suis dit que tu devais avoir un sacré sens de l’humour, passe-moi l’expression, enfin si j’ose dire. Tu es là, quelque part, j’en suis sûre. Et le jour de ton enterrement, c’est toi, en réalité, qui, du haut de ton invisible évanescence, suscite le rire chez les vivants, ce rire qui soulage et qui détend. J’aurais bien aimé te connaître, tiens.

D’autant que tu m’a fait vivre un instant comme on en vit trop peu. Une rencontre avec un ange. Je suis sûre que tu étais là aussi, à ce moment-là, quand nos regards se sont croisés. Je sais, c’est un détail trivial, mais aujourd’hui j’ai mis mes rideaux à la machine. Et tous les gens qui passent devant chez moi ne peuvent pas s’empêcher de regarder à l’intérieur. Oh, je ne leur en veux pas, c’est un réflexe, moi aussi je fais la même chose chez les autres. Mais tout de même, c’est assez agaçant ! Tu dois bien rire de mes petits soucis, toi que plus personne ne peut voir, toi qui désormais perce à jour sans effort l’âme des vivants, rideaux ou pas.

C’est comme ça que nos regards se sont croisés, à travers la fenêtre. Qu’il était beau cet ange… Nos regards se sont croisés et spontanément nous nous sommes souris. Un instant hors du temps. Merci à toi, je ne te le dirai jamais assez. Sans toi, je ne l’aurais jamais vue, elle et son sourire rayonnant. Rayonnant, je le dis au sens plein et vrai du mot. C’était toute sa personne qui rayonnait, qui répandait de la lumière, qui irradiait la sérénité. Et ce sourire qui est comme une porte vers la plénitude infinie, on ne le rencontre qu’un tout petit nombre de fois dans une vie. Ces quelques secondes d’éternité resteront gravées pour toujours en moi.

Avec un tel ange venu pour t’accompagner, tu ne pouvais être que quelqu’un de bien. J’en suis certaine. Il ne peut en être autrement.

Mais voilà que pour les gens qui sont là, tout est terminé. Tu es mort, tu es enterré. Voilà. C’est fait. C’est fini.

Comme les cloches avaient sonné le commencement, elles sonnent maintenant la fin. Et chacun rejoint sa voiture, petit à petit, les rues se vident, la clameur retenue se désagrège, les portières claquent, les unes après les autres. Le silence reprend possession des lieux. Ce silence qui abrite le chant des oiseaux et des arbres dans le vent. Lui, qui planant sur ta tombe fraîche couverte de fleurs coupées, veille désormais sur toi.

Alors moi aussi, je te dis au revoir, à toi, le mort inconnu qui a illuminé ma journée.

Texte de Enfantissages

Voici le chemin vers mon texte chez ma complice,
l’occasion aussi de découvrir sa poésie

Les autres Vases communicants :

Humeur Noirte et Anna de Sandre

L’exil des mots et Juliette Mézenc

Petite Racine et Scriptopolis

Robinson En Ville et le Fourbi Élastique

La Méduse et le Renard et Etc-iste

Anne Savelli et Christine Jeanney

LeRoy K. May et Marie-Helene Voyer

PCH de PDLW et L’Employée aux écritures

« A chat perché » et Anthony Poiraudeau

Les morts regardent le ciel (2ième partie sur 3)

Texte en trois parties

Lire :  la 1ière partiela 2ième partiela dernière partie

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La tête d’Eugène rebondit comme un gros ballon de plage vers notre fourgonnette à l’entrée du cimetière. Il en revient avec un sac en papier brun. Il me saisit le poignet et me tire vers une pierre tombale. Nous nous asseyons, sac entre nous, et Eugène y plonge ses mains épaisses.

– T’as jamais mangé d’andouille, je parie ?

Sa calvitie s’étend à tout son visage rond et sa couronne de cheveux rêches tressaute comme une bouée à la surface d’une piscine. Une odeur froide monte de ses mains serrées sur un lange blanc. Je voudrais dire à Eugène que je ne peux plus manger de charcuteries, que cette graisse animale me fane la bouche, se fige sur mon palais et engonce encore davantage ma langue.

Eugène déroule le linge comme s’il s’agissait de la robe d’un baptême d’un nourrisson. L’andouille apparaît, noueuse, compacte, d’un blanc livide, ramassée sur elle-même comme un chien endormi.

Mon regard exprime un tel dégoût qu’Eugène se dresse, brandissant son Jésus en direction des nuages bas qui comblent le ciel de broyats de briques.

– Nom de dieu ! Tu vas aimer ça ! Sinon je crois plus en rien.

En dépit de son mètre soixante, il serait presque beau l’Eugène quand il se dresse ainsi. J’ai tellement l’habitude de le voir courbé vers le sol, bataillant avec les mauvaises herbes pour les arracher aux morts. De le voir si furibard m’arrache un sourire chiche qui lui suffit pour l’instant. Je viens de gagner un sursis.

D’un coup de pouce, il fait saillir la vrille du tire-bouchon de son couteau. Il tire une bouteille nue de son sac, la cale entre ses cuisses courtes. Le plop du bouchon résonne entre les galandages des stèles. Quand Eugène aura descendu quelques rasades de ce vin, ce sera à mon tour de téter à la bouteille. Je me dépêche d’avaler les rondelles bistres qu’il a découpées pour moi. Mais, telle une hostie, l’une d’elles se colle à la voûte de mon palais. Un haut-le-cœur me soulève. Je vomis aux pieds d’Eugène.

Nous avons repris nos balais. Il faut nettoyer. Emporter la Toussaint fanée dans les bennes. Épousseter les pétales collés aux pierres. Redresser les chrysanthèmes versés. Ratisser les graviers. Brosser mousse et moisissures sur les caveaux. Travailler courbé à s’en moudre les reins et à être pris de vertiges. À en avoir des hallucinations. À croire qu’une tête émerge de la trappe d’un caveau. Que le reste de son corps s’extirpe de la terre. À tenter comme à chaque fois que cela se produit de repousser ce cadavre avec mon balai.

Elle s’assied sur sa tombe. Les contours de son corps vacillent comme une flamme, lèchent les parois de mes yeux. Les oiseaux se taisent. Je n’entends plus que le grincement lent de la roue de la brouette d’Eugène et, au loin, le grattement d’une pelleteuse.

Elle s’ébroue provoquant sur la robe nuptiale de son suaire l’apparition de taches moirées, des irisations semblables à celles des plumes de paons. Ces sont les traces du dessous, les coups de langue baveux de la terre.

Je serre le manche patiné de mon balai. Je remue les plantes de mes pieds sur l’empeigne de mes chaussures. J’attends.

Elle se lève, s’approche.

– Viens mon chéri, marchons. Donne-moi le bras comme autrefois.

Je lui offre mon coude.

Nous revenions du cinéma. C’était un soir de printemps. En grimpant à un mur pour lui cueillir du lilas, j’avais éraflé la manche de mon blouson. C’était la première femme à qui j’offrais des fleurs. Elle les mettait sur la table de la cuisine et nous mangions devant. Le blouson est encore dans ma penderie, sur son cintre, ses deux manches pendent, vides, avec, dans la peau de celle de droite, cette première déchirure.

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Un vent malingre tente de redonner vie aux feuilles mortes en les bousculant contre les bordures de ciment où je n’ai plus qu’à les pousser en tas de plus en plus hauts vers leurs derniers dépotoirs. Leur papier brûlé craque sous mon balai qui les pulvérise en cendres de plus en plus fines.

Pour la première fois depuis que je travaille ici, je renonce à les emporter dans les bennes réservées à cet usage. Je me penche au-dessus d’elles avec mon briquet. La flamme jaillit, d’abord petite, chétive avant de prendre de l’ampleur et, gaillarde, de tout consommer dans un seul rugissement.

Je pense tout à coup à Victor Hugo, à sa carrure d’homme qui a réussi dans la vie et à la peine qui devait l’encombrer tout entier, jusque sous ses sourcils et derrière chaque poil de sa barbe.

Lui aussi a souffert, comme j’ai souffert.

Nos filles, ma femme.

Le feu a tout brûlé, je n’ai rien à emporter aux bennes.

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Deuxième partie de Les morts regardent le ciel, lire la 1ière partie et la dernière partie

Vin nouveau

La bouche paisible. Passer la langue dans le creux de ses joues. Lécher son palais. Ne savoir qu’en dire. Chercher. Attendre le mot, l’image qui permettra d’en parler avec assez de précision. Décider de se taire faute de savoir l’évoquer. Ecouter les autres rire, s’exclamer, le tintement de leurs verres. Être heureux d’être là. Laisser retomber dans sa bouche le lin de ce drap qui dans ses plis a l’odeur du séchage. Entrer dans le frais de ce lit refait.

Pluie d’été. Saveurs liquides. Lourdeurs des pétales détrempés. L’eau perle et coule le long de la tige, la fleur se redresse, s’ouvre, s’épanouit. Ampleur ronde dans les joues, le palais, autour de la langue. C’est une pivoine.

On se gausse, on vilipende son âpreté de toile émeri. Il s’en contrefiche, il est. Nul besoin d’adoubement pour exister.

Légèreté de la sciure sous les pas des chevaux. Fraîcheur tranquille du matin quand le corps vierge cueille chaque sensation.

Premier bain de l’année dans la rivière.

Première bouchée de vin nouveau.

Alleluia.

village-bourgognePhoto Lignes de vie

Lyon, cette ville que l’on dit prude comme un jeune curé, n’a hors des matchs de l’Olympique Lyonnais et de sa nuit du 8 décembre d’autre fête que ce troisième jeudi de novembre, lorsque coule le vin nouveau entre ses cuisses.

Chargée de barriques, une péniche descend la Saône depuis Villefranche, traverse Neuville, les Monts d’Or, passe aux pieds de Bocuse et, à l’Île Barbe, entre dans Lyon où, quai de Tilsit, l’attend un orchestre de jazz. Les vigoureux vignerons venus de Lucenay, Saint-Amour, Juliénas, Brouilly, Régnié, Saint-Lager, Morgon roulent les tonneaux jusqu’à la place Antonin Poncet, entre Saône et Rhône. En écoutant musique, on attend minuit, on tire un feu d’artifice.

Enfin, on met les tonneaux en perce.

Quelques milliers de gens sont là, on parle toutes les langues de la terre et de la mer, on est de tous les âges. En retrait, veillent les Compagnons Républicains de la Sécurité, souples et droits, silencieux. Des jeunes femmes viennent déposer des gobelets sur les toits de leurs véhicules. D’autres sont offerts à la Diane chasseresse couchée aux pieds de Louis XIV, au milieu de Bellecour.

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Le cerveau dans la bouche à essayer encore et encore de trouver des mots. Mais la bouche ne se laisse pas faire, elle reprend le dessus, redevient corps et esprit, redevient bouche.

Mâche, boit, goûte le vin nouveau !

C’est le printemps en novembre, une fille en jupe dans la bouche, elle danse, touille le vin dans le palais, tapisse ses papilles de hottées de moût, retrouve ce goût de cidre du moût à la sortie du pressoir quand, de retour des vignes, reins moulus, nous buvions le vin bourru.

Conséquence du printemps et de l’été, le beaujolais nouveau est arrivé.

Bobin dans Transfuge

Christian Bobin fait du bien où ça fait mal. Interviewé par Transfuge pour son dernier livre Les ruines du ciel, il redit l’importance de la distance pour regarder ce monde. Lui-même sait s’en tenir à distance. J’aimerais savoir en faire autant, je le dis avec humilité tant il me semble difficile par moments de vivre sereinement, simplement.

croix-arbresEn écho au billet de Taraf Zelie Bordela « Dans le trafic des images avortées » dans Histoire d’une passion – Photo Lignes de vie

Il rend dans ce livre hommage aux Solitaires et aux religieuses de l’Abbaye de Port-Royal qui résistèrent au 17ième siècle au pouvoir absolu de la royauté. Pour Bobin, c’est

une allégorie de la résistance souhaitable de la pensée, de la beauté, du songe face à la royauté versaillaise de l’argent.

Il a confiance en la capacité de quelques uns à résister à ce pouvoir qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui,

comme si l’esprit devait toujours passer souterrainement, presque dans l’invisible, jusqu’à ce qu’à certains moments, le feu reprenne.

L’interview est précédée d’un beau portrait photographique de l’écrivain.

Ce billet est l’occasion de signaler la qualité de cette revue Transfuge, consacrée à la littérature et au cinéma. On y pratique comme dans Le Matricule des Anges la rencontre approfondie, le temps passé avec l’interviewé. Cela se sent, cela se lit.

Vases communicants de Balmolok

« …pourquoi ne pas imaginer, le 1er vendredi de chaque mois, une sorte d’échange généralisé, chacun écrivant chez un autre ? Suis sûr qu’on y découvrirait des nouveaux sites… ». Ainsi sont nés les vases communicants. Aujourd’hui, Balmolok et Lignes de vie s’invitent réciproquement.

Hammam

Texte de Balmolok et illustration de Cali Rezo

J’ouvre une première porte vers l’humidité, tiède, enveloppante.
Mes lèvres restent closes.
J’avance sans regarder, juste éveillée aux perceptions cutanées.
Le silence bourdonne, quelques voix l’accompagnent sporadiques.
La douche me fait du bien, l’eau glisse, me recouvre et s’en va.
Elle ne reste pas, elle se tait de me lire.
En douceur elle passe sur ce qui reste sensible, encore…
C’est trop tôt pour oublier.
Le savon m’apporte de nouvelles senteurs inconnues,
boisé, épicé comme dans des bras masculins.
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J’ouvre la deuxième porte.
J’avance sans réfléchir, parce que c’est le sens qu’il faut suivre,
et que ça fait du bien de se laisser aller dans le courant,
portée, allégée.
Le brouillard est plus dense et plus chaud déjà.
Cette chaleur…
Je reste debout, je ne veux pas me poser, je tourne, je touche…
Les parois, ma serviette, la faïence… Je lis.
Mes pages se tournent, j’ai le vertige.
Appuyée contre une colonne, je ferme les yeux, retrouve l’équilibre.
Mon corps s’est habitué à la chaleur, je poursuis ma progression, lente.
Je ne veux pas m’arrêter.
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Je pousse la troisième porte.
J’avance toujours, encore.
Le manteau est intense, fort.
Je me blottis en lui, enfin rassurée.
Je ne vois plus rien, ni de la pièce ni de moi.
Je ne vois plus mes «aspérités»,
juste… je les sens, douloureuses, marquées, profondes, amères.
Je m’imprègne de cette humide brûlure, la respire.
Elle est sur moi, elle est en moi.
Mes maux transpirent, mes mots se taisent.
Chaque pore de ma peau expulse, chaque expire me libère.
Je me replie en tendresse sur le sol,
je laisse vagabonder mes rêves.
Ils s’envolent et respirent, légers, fous.
Je les aime, ils me tiennent.
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hammam2
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Le temps s’est écoulé; pas assez mais…
Je sors.
J’avance.
L’huile d’argan,
sa caresse…
Je rentre dans un parfum.
«Koublaï Khan»
Comme le titre d’un livre,
il m’emporte vers quelques aventures délicieuses.
Je m’en imprègne, je le fais mien, nouveau sillage,
nouvelles sensations, demain…
Mon visage tourné du bon côté, abîmé, maquillé, caché.
Je ne me regarde pas, me ressentir me suffit.
Je renais, mes sens éveillés par ce bain.
Accouchée du brouillard que j’ai du mal à quitter,
je me déplie, je respire, je vais, je vis…
separateur-paragrapheLes autres participants aux vases communicants :