Expectances du bureau de poste

Expéctance devant le bureau de posteTout le monde semble être en terrasse ou se diriger vers une terrasse. Sans oublier les tenues légères de tout ce petit monde. Tu t’attardes devant les boîtes. Cinq enveloppes : deux pour Paris, trois pour le reste du monde. A chacune, un temps de suspension, la bandaison, un coup de téléphone, un rendez-vous dans un bureau encombré de manuscrits, les vitrines de quelques foutues bonnes librairies, Lucioles, Passages, Point d’Encrage, La Hune, L’Ecume des pages, La lucarne des écrivains, L’Atelier, L’arbre à lettres, Sauramp, Coiffard, Aux mots bleus, Ombres blanches… puis… puis le frout du glissement, le claquement du volet de la boîte, le silence qui revient. Là-bas, aux terrasses, comme dans un film sans parole, les gestes chorégraphiques des estivants qui se foutent de ton cinéma intérieur. Quatre expectances encore… trois.. deux… la dernière… tu as gardée celle-ci pour ton final… une toute petite maison, loin d’ici… loin, loin… pas dans la prairie, mais presque… une table sous les arbres… ou sous une tonnelle… le soir tombe doucement et ton éditeur et toi parlez encore de ton livre… (« ton » éditeur ! « ton » livre !) Le panier est vide. Tu as un bref moment de désarroi, il fait si beau devant le bureau de Poste.

L’odeur des lys, la liberté des feuilles, le temps mesuré

Je ne sais clairement pourquoi ce poème de Cadou me poursuit depuis des années. Je ne crois pas qu’il s’agisse seulement de la nostalgie dont il est empreint. Alors, le choix d’un homme qui se savait très malade ? Il est mort à 31 ans. Miser juste, sur le seul lièvre qui vaille. Devant cette question, l’effroi splendide de la liberté lors que le temps est mesuré.

Pourquoi n’allez-vous pas à Paris ?

René-Guy Cadou— Pourquoi n’allez-vous pas à Paris ?
— Mais l’odeur des lys ! Mais l’odeur des lys !

— Les rives de la Seine ont aussi leurs fleuristes
— Mais pas assez tristes oh ! pas assez tristes !

Je suis malade du vert des feuilles et des chevaux
Des servantes bousculées dans les remises du château

— Mais les rues de Paris ont aussi leurs servantes
— Que le diable tente ! que le diable tente !

Mais moi seul dans la grande nuit mouillée
L’odeur des lys et la campagne agenouillée

Cette amère montée du sol qui m’environne
Le désespoir et le bonheur de ne plaire à personne

— Tu périras d’oubli et dévoré d’orgueil
— Oui mais l’odeur des lys la liberté des feuilles !

René-Guy CADOU, Hélène ou le Règne végétal, Paris, Seghers, 1952

L’intégrale de la poésie de René-Guy Cadou a été publiée par Seghers en 1978 sous le titre Poésie la vie entière, on le trouve chez des bouquinistes et des sites ou libraires d’occasion, soit en un tome, soit en deux volumes au format poche (pour moi, c’était à A plus d’un titre, quai de la Pêcherie, à Lyon, une librairie regrettée).