Pour aider ton conjoint en 2011

Au réveil, ce matin 31 décembre 2010, ton compagnon te joue son grand numéro hebdomadaire : tout va mal, il est nullard de chez nullard, tellement fatigué. Youkaïdi-kaïda, tu tentes de le rassurer. Tu adores ce rôle : tu es sa béquille,  son déambulateur, son fauteuil roulant vers  le bonheur. Du lit, vous passez à la table du petit déjeuner. Devant le café, il t’explique qu’il ne croit à Rien. Il  prononce Rien comme un calotin prononce le mot Dieu.

— Cette façon de faire est un moyen pour me détruire,  je ne suis pas le seul… Tous ces gens qui ne mangent pas, qui tombent malade exprès (il insiste, « exprès»), qui boivent ou qui jouent.  La mort ne me fait pas peur. De toute façon, j’aurai une retraite si faible qu’il vaut mieux que je meure avant.

The Labyrinth of memory
Creative Commons License photo credit: Mister Kha

Tu comptes le nombre de fois où il t’a joué Suicide, mode d’emploi en 2010. Tu imagines tout 2011 comme ça, 52 fois la même blague.  Que fais-tu avec cet emplâtré ? Néanmoins, comme ces camions toupies qui inlassablement amènent du béton liquide sur les chantiers, tu reviens à l’assaut de sa sinistrose.  Cette fois avec du lénifiant de chez lénifiant, l’estocade finale, Michel Drucker ferait pas mieux. Tu te plantes devant la fenêtre et tu désignes le SDF qui dort en bas, sous le porche de la supérette en faillite, sur un canapé défoncé comme lui. Ton conjoint a de la chance ! Mais il flaire le chausse-trappe. Tel Bonaparte à la bataille de Castiglione, il opère un mouvement tournant :

— Comment peux-tu me donner des leçons ? Toi aussi, ta vie tu la rates !… Au cheval, tu n’as jamais dépassé les sélections régionales. Et ta peinture, même pas exposée. Je ne te parle pas des enfants… tu n’as pas pu en avoir !… tu ne te demandes pas pourquoi ?

Mug de café dans les paumes, tu demeures immobile, présentant à ton conjoint un profil stoïque. C’est décidé, en 2011 tu le quittes. Mais plus tard dans la journée, rongée de remords, tu ressors ton vieux Propos sur le bonheur, Folio Essais n°21, 2 euros en occase. Il y a 89 ans, le 21 décembre 1921, Alain écrit :

Montrer partout le visage de l’ennui et s’ennuyer des autres. S’appliquer à déplaire et s’étonner de ne pas plaire. Chercher le sommeil avec fureur. Douter de toute joie ; faire à tout triste figure et objection à tout. De l’humeur faire humeur. En cet état, se juger soi-même. […] Se faire bien laid et se regarder dans la glace. Tels sont les pièges de l’humeur.

Une malhumeur… ça doit être ça la maladie de ton conjoint. La malhumeur, c’est une tumeur stationnaire. Ça ressemble à une nappe de pétrole, ça ne tue pas mais ça fait chier.

Et si tu essayais l’arme ultime ?… La poésie !

Let me dream
Creative Commons License photo crédit : Éole

Tiens par exemple, Oeil pour oeil de Norge, le seul poète optimiste du 20ième siècle :

Norge

Tes petits cris dans l’azur,
Tes craquements de fémur,
Sont tes amours les plus sûrs
Passés, présents et futurs.

Bouvreuil, chevreuil, écureuil,
Le monde est là, sur ton seuil,
Tu n’as que toi pour accueil,
Tu n’as que ton œil pour œil.

[…]

Serre-toi dans ta hantise
Goûte-toi dans ta bêtise,
Tu n’as que toi pour chemise,
Pour jeu, pour cœur et pour guise.

C’est en poche chez Gallimuche : Poésies 1923-1988, Norge, collection Poésie/Gallimard, n°237, pages 60 et 61. Allez courage en ce dernier jour de 2010 ! Un petit dernier pour la route afin d’aider ton conjoint à se préparer à 2011 :


LA GRANDE SOPHIE – Du courage

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Publié par

Gilles Bertin

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6 réflexions au sujet de « Pour aider ton conjoint en 2011 »

  1. Christophe,

    Toute ressemblance avec des personnages qui auraient existé ou des événements qui se seraient produits ne peut être attribuée qu’à l’intrusion intempestive d’un univers parallèle.

    Jacqueline Harpman (La Dormition des amants)

  2. Qui a dit que le couple, c’est avoir à deux des problèmes qu’on n’aurait jamais eu tout seul ? Tout ceci ne te concerne ab-so-lu-ment pas : tu es gai, optimiste, intelligent, entreprenant, chaleureux… et tellement patient :0)

  3. Oh, Frédérrrique ! Tu es publiée toi ! Alors tu comprends que l’emplâtré de ce texte et sa victime n’ont rien à voir avec de l’autofiction, ni de l’autoaffliction. L’occasion aussi de caser les pères Alain et Norge et la p’tite Sophie. Bises de Lyon vers Toulouse.

  4. L.O Gilles,
    Belle écriture, qui rebondit sans arrêt, étonne, ravit.See you tomorrow,
    ………………………..;;;;;;;;;;…………………MF

  5. « Ce n’est pas la réalité qui compte, mais ce que l’imagination peut en faire … je ne suis pas le héros qui sauvera le monde de la bêtise humaine mais je suis le héros de la femme que j’aime …
    je crois que chaque être humain est un artiste et sa plus grande œuvre est sa vie ».

    Carlos Chapman et Estelle Pesquier – vidéo « Je suis un héros ».
    (http://www.youtube.com/watch?v=VMc-Giy91js&feature=player_embedded)

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