Détours

Première page d’une de mes nouvelles 3e prix du 26e Grand Prix Littéraire du Pays de Buch.

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Des applaudissements éclatent quand l’avion émerge de la couche nuageuse. Des jeunes à l’avant de la cabine. Ils ont vu la même chose que moi. L’aéroport en bas.

Mais moi je tourne de l’œil, je m’évanouis, je perds connaissance, je me barre loin de là. En vain, on ne saute pas d’un avion.

Quand je reviens à moi, mon voisin me parle : – How are you doing ? Je lui réponds en français : – Bien, tout va bien, j’ai eu un malaise passager. Il rit à mon jeu de mots involontaire. – Prenez cette lingette, fait-il en déchirant un sachet. – Ça va je vous assure. – Prenez, insiste-t-il.

Le brouhaha continue à l’avant. Un échange culturel. Entre l’Écosse et la région. Comme pour moi, la première fois que je suis venue ici, voilà plus de trente ans.

Je ferme les yeux. Mon voisin s’inquiète à nouveau.

– Tout va bien, lui dis-je, c’est l’émotion du retour.

– Je comprends, répond-il.

Que comprend-il donc ? J’aimerais le savoir ! Qui peut comprendre ce qui s’est passé ? La décision de Joël.

Je sens sa main dans la mienne quand, de retour d’Écosse, nous atterrissions. Quelque chose en moi allait s’élargissant, à la façon de mes souvenirs sous l’effet de l’odeur de cette lingette.

Comme une personne frileuse procédant par petites touches pour entrer dans l’eau, je jette un deuxième coup d’œil en bas pour affronter ma douleur. Le lacis de routes autour de l’aéroport. Les rectangles des toits des entrepôts de la zone de logistique. Parmi eux, les bâtiments de l’usine où travaillait Joël. Les lettres COMPOSTERS sont peintes sur le toit de façon à ce qu’on puisse les voir du ciel.

J’ai évité de prononcer ce nom depuis un an, depuis que je me suis enfuie de cette région. Il m’était devenu impossible de vivre dans ce petit univers. Le pire était la sollicitude bavarde ou silencieuse des gens. Je me suis réfugiée dans ma famille à Edimbourg.

Le soleil pénètre dans la cabine à chaque fois que l’avion bascule sur une aile. J’aimerais croire en lui comme la première fois que je suis arrivée ici, il y a plus de trente ans. Et avec la même force que ces grands enfants à l’avant de la cabine. Je ne savais pas alors que c’était vers toi que je venais, Joël.

Je t’aime toujours. Mais je ne sais plus si tu es en moi ou en dehors de moi, si tu m’as quitté pour rester ici, en bas, dans ces champs qui glissent par les hublots de plus en plus vite, de plus en plus proches.

Gilles BERTIN

La soirée littéraire de remise des prix aura lieu ce dimanche. Ne pouvant y participer, je remercie ici ses organisateurs et le jury pour le peps que me donne ce prix.

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Gilles Bertin

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7 réflexions au sujet de « Détours »

  1. Merci les amis.
    Christophe, tu pourras lire la suite je l’espère lorsque cette nouvelle et d’autres auront trouvé leur chemin vers une publication en revue ou en édition.
    Frédérique, c’est long.

  2. C’était long un mois sans vous lire mais ça valait le coup d’attendre.
    Bonne chance.

  3. Oui, vraiment félicitations. J’aime beaucoup votre texte et ses légers glissements, je redécouvre aussi votre domaine avec un réel plaisir. Je reviendrai sûrement, à bientôt 🙂

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